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Industrialisation en Afrique : 4 priorités pour une stratégie gagnante

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


"Industrialisation en Afrique : réaliser durablement le potentiel du continent" : tel est l’objet de l’étude conduite par Strategy&, l'entité conseil en stratégie de PwC (PricewaterhouseCoopers). Jonathan Le Henry, directeur au sein de Strategy&, responsable du développement des activités de cette structure au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, nous explique comment les pays africains peuvent mener une politique industrielle efficace.


La prise de conscience de la nécessité de soutenir l’industrie est bien présente chez les décideurs de tout horizon sur le continent africain. Mais force est de constater que ce secteur représente toujours un poids négligeable de l’économie.

« L’industrie africaine contribue à moins de 2% à l’effort industriel mondial, ce qui est une hérésie, compte-tenu du potentiel du secteur manufacturier, déplore Jonathan Le Henry. À titre de comparaison, « la contribution de la région de l'Asie-Pacifique se situe autour de 45 % » mentionne le communiqué de presse de

" Strategy& ".

Crédits : ©Strategy& , ©PWC


« Il faut sortir des grands dogmes du libéralisme ou de l’étatisme. Seuls le choix du pragmatisme et la combinaison des solutions permettront d’arriver à quelque chose de durable » ajoute le consultant de PWC, en préambule de son analyse.

Capitaliser sur les ressources naturelles

Jonathan Le Henry met en exergue la success story du Botswana qui a su valoriser de manière optimale l’exploitation de ses ressources naturelles. Ce pays d’Afrique australe s’est associé au conglomérat diamantaire sud-africain " De Beers " pour créer " Debswana Diamond Company Ltd ".

 
 

« Lorsque l’on regarde la structure économique du pays il y a un peu plus de 10 ans, 80% des exportations concernaient les diamants bruts. [ ...]. Grâce à la mise en place de la structure Debswana, les autorités parviennent aujourd'hui à mieux maîtriser la chaîne de valeurs, de l’exploration jusqu’à la vente de diamants, en passant par la taille et le polissage [ ... ] ».

Selon ce spécialiste, le Botswana est un bel exemple de la démarche à suivre pour transformer un avantage naturel en un levier de développement industriel, signe que d’autres pays d’Afrique pourraient aussi conjurer la malédiction des ressources naturelles .

 
 

L’innovation, facteur essentiel de la croissance industrielle

En matière de bonnes pratiques à l’international, Jonathan Le Henry préconise que l'Afrique, dans son ensemble, s'inspire fortement de ce qui s’est fait en Asie où un bon nombre d’États ont opté pour un développement industriel à fort contenu technologique. Aujourd’hui, l’acronyme BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) suscite tout autant des sentiments ambivalents d'admiration, de respect et de crainte que les GAFA américains (Google, Apple, Facebook et Amazon) partout à travers la planète. Ce sont des entreprises asiatiques, à l'instar du géant chinois Huawei ou du groupe sud-coréen Samsung, qui sont en train de faconner les industries du monde. La Chine est sur le point de dépasser les Etats-Unis dans la course à l’intelligence artificielle, moteur de la prochaine révolution industrielle, et la Corée du Sud tient la palme du " pays le plus innovant du monde " selon l'édition 2019 du " Bloomberg Innovation Index ", un indice qui prend en compte, entre autres, le nombre d’entreprises actives dans le secteur des hautes technologies, la valeur ajoutée manufacturière et les dépenses de recherche et développement.


 

 

De ce fait, les experts y verront sans doute la confirmation du bien-fondé de leur point de vue selon lequel le centre de gravité de l’économie mondiale s’est déplacé vers l'Extrême-Orient. Eu égard à la performance de l'Asie en matière d'industrie 4.0, le continent africain, qui s'appuie encore sur ses ressources naturelles, possède une immense marge de progression largement inexploitée.

« [ ... ] L'Afrique, dans la plupart des cas, est dépendante à hauteur de 70 % de ses exportations en termes de ressources naturelles. Dans les cas particuliers du Burkina Faso et du Bénin, les ressources naturelles représentent 90 % de leurs exportations, avec une faible valeur ajoutée, une insuffisance en contenu technologique et très peu de création d’emplois. La situation de l’Asie de ces 30 dernières années en terme de dépendance aux ressources naturelles est identique à celle de l’Afrique d’aujourd’hui [ .... ] » détaille le consultant de PWC.

Il est à noter que l'on assiste depuis quelques temps à une prolifération d’incubateurs et de hubs d’innovation au quatre coins de l’Afrique, la preuve d’un bouillonnement technologique assez vivace . L'essor de FinTech et la blockchain sur le continent conforte la thèse selon laquelle les pays africains peuvent se permettre de sauter des étapes du processus d'un développement économique classique en réalisant un "leapfrog", c'est-à-dire un véritable bond technologique, dans le but de combler leur retard dans l'industrie 4.0.

L'étude cite en exemple la marque de bijouterie kenyane Soko, une "usine virtuelle" qui connecte « plusieurs miliers d'artisans indépendants issus des marchés émergents [ ... ] » et l'entreprise sts3D qui « met la réalité virtuelle au service du renforcement des conditions de sécurité dans les mines sud-africaines ».

 
 

« [ ... ] On est bien souvent aux avant-postes de l’innovation en Afrique. Tous les grands opérateurs économiques qui s’installent sur le continent ont des grandes problématiques pour traquer l’information qui est souvent de mauvaise qualité, voire inexistante. La Blockchain fait partie de solutions adéquates. Elle permettrait aussi aux chaînes de valeur locales d’optimiser la traçabilité des produits et de se conformer ainsi aux normes » explique Jonathan Le Henry.


Créer les conditions nécessaires à l’amélioration du climat des affaires

Après 15 années d’existence, l' "Ease of doing business index" [ l'indice de la facilité de faire des affaires établi par la Banque mondiale, NDLR ] constitue désormais l’un des principaux baromètres mondiaux dont se servent fréquemment les investisseurs pour étudier des projets d’implantation d’usines, de sites industriels ou plus globalement d'entreprises de divers secteurs.

L’ÉTHIOPIE CONNAÎT UNE PROGRESSION BEAUCOUP PLUS FAIBLE DANS LE " DOING BUSINESS ", MAIS A ENREGISTRÉ UNE ACCÉLÉRATION AU NIVEAU DE SON DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL .


Les différents classements qui ont été conçus au fil du temps mettent régulièrement à l’honneur l’Île Maurice, le Maroc, le Botswana ou le Rwanda, des pays salués pour leurs efforts consentis dans les domaines de la création entreprise, de l’obtention du permis de construire ou de l’accès au crédit.

 

 

Jonathan Le Henry invite pourtant à la prudence concernant cet indicateur : « Le Rwanda et l'Éthiopie sont des cas d’écoles. D’une part le Rwanda améliore régulièrement son rang dans les classements " Doing Business ", mais cela n’a pas donné lieu à une période durable de forte croissance de la valeur ajoutée manufacturière. Dans le même temps, l’Éthiopie connaît une progression beaucoup plus faible dans le " Doing Business ", mais a enregistré une accélération au niveau de son développement industriel » . Une performance dont le mérite revient en grande partie aux autorités publiques qui jouent un rôle de véritable " facilitateur ".


Autre tendance suivie de près par les décideurs internationaux : la gouvernance politique, indissociable de la gouvernance économique. Les bailleurs de fonds

conditionnent, dans leur grande majorité, l'octroi de prêts à l’instauration et le maintien du pluralisme politique ou la lutte contre la corruption dans la plupart des pays d’Afrique. A contrario, la Chine, premier pourvoyeur de financement d'infrastructures sur le continent, privilégie le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États bénéficiaires.

 
 

« L'insuffisance des infrastructures est un élément qui vient freiner le développement industriel [ ... ] » déclare le directeur-associé. Un constat qui explique en partie le fait qu’un bon nombre de nations africaines se tournent davantage vers l’aide financière chinoise. « La Chine a permis de réaliser de grands projets d'infrastructures en Afrique : les lignes de chemin de fer Nairobi-Mombasa, Addis-Abeba-Djibouti etc... [ ... ]. Mais il faut rester très ferme par rapport aux éléments de la gouvernance. Si un pays n’a pas les faveurs du "Doing Business", l’opérateur économique ne s'y rendra pas. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas se tromper de combat » poursuit-il.

En filigrane de son étude, Jonathan Le Henry a insisté sur la mise en place de nouvelles politiques industrielles susceptibles d’être " monitorées " par les gouvernants et génératrices d’emplois.

« [...] Beaucoup de plans stratégiques ont été élaborés, mais n’ont pas été mis en place correctement [ ... ]. L’Afrique aujourd’hui a besoin de 12 à 13 millions de nouveaux emplois par an pour répondre à l’arrivée d’actifs sur le marché [ ... ]. Il faut complètement changer la manière dont la politique industrielle doit être à la fois construite, pensée et implémentée sur le continent et voir dans quelle mesure ce développement industriel va être inclusif » .

Créer des centres de formation serait une solution séduisante à plusieurs égards. Inciter des grands groupes internationaux à mettre sur pied ces types de structure à l’échelon local permettrait par exemple de donner un gage de confiance pour les États qui y verraient une volonté d’assurer un développement industriel à long terme.



Miser sur des partenariats stratégiques

Le fait de partir à la conquête d’un marché sur le continent africain, la complexité de la réglementation vue de l’étranger et les difficultés rencontrées pour approcher les instances clés impliquent pour les industriels l’identification du bon partenaire local.

« Selon une autre étude réalisée par le cabinet PWC, près de 65 % des causes d’échecs de déploiement de groupes industriels en Afrique provenaient soit du choix d’un mauvais partenaire, soit ou du manque de temps passé dans l’analyse des marchés ou de due diligence » indique Jonathan Le Henry.

 
 

S’associer à un partenaire local donne donc l'occasion de se prémunir contre les risques inhérents à la méconnaissance des réalités dans le pays d'implantation.

S'appuyant sur le partenariat stratégique entre le constructeur Renault et le Ministère de l'Industrie marocain à titre d'exemple, le communiqué de presse de PWC souligne que : « la répartition des efforts entre les zones géographiques s'est traduit par une situation gagnant-gagnant : les usines marocaines se développent de façon autonome tout en contribuant au développement du secteur industriel national tandis que les entités européennes se concentrent sur le renforcément de leur compétitivité en Europe ».

Selon Jonathan Le Henry, les pays africains doivent adopter et concrétiser des stratégies de spécialisation dans le but de travailler avantageusement en complémentarité et de démultiplier les interactions entre les acteurs économiques. Cette démarche présente l'avantage fondamental pour des États voisins ou les pays membres des entités sous-régionales ne pas entrer en concurrence entre eux, sous peine d’affaiblir l'ensemble d'une filière. Jonathan Le Henry étaye son argumentation relatif à une vision intégrée de l'industrie sur l’exemple du secteur automobile :

« Tout les pays veulent produire des véhicules. Mais la chaîne de valeur automobile est très vaste. A titre d’exemple, environ 10000 voitures sont écoulées par an en Côte d’Ivoire. Partant de ce constat, il sera difficile de convaincre un constructeur comme Renault d’assembler des véhicules sur un marché de cette taille en vue de réaliser des économies d’échelle, d’autant plus que vous avez à côté des pays qui en produisent près de 50000 voitures. [ ... ]. En revanche, la Côte d’Ivoire fait de l’hévéa, un élément de composition du pneu. L’idée est d’entamer une réflexion stratégique sur la nécessité de devenir le meilleur concernant un segment de cette chaîne de valeur, en l’occurrence la production de pneus ou de pièces détachées [ ... ] ».

Le rapport sur les Perspectives économiques en Afrique pour 2019, établi par la Banque africaine de développement (BAD) abonde globalement dans ce sens, tout en spécifiant que « La relance de l'industrialisation de l'Afrique, notamment par le biais de politiques industrielles régionales, sera nécessaire pour tirer parti des effets des externalités et des agglomérations ».

 

INFOS PRATIQUES

À propos :

Jonathan Le Henry est responsable du développement des activités de Strategy&, l’entité conseil en stratégie de PwC, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Il conseille notamment multinationales et grands groupes africains en matière de stratégies industrielles. Il accompagne également plusieurs gouvernements de la région dans leurs programmes de diversification industrielle et de soutien au développement du secteur privé.

" Strategy& " est une équipe mondiale d’experts dans le domaine du conseil en stratégie qui aide ses clients à réaliser leur potentiel et à résoudre leurs problèmes les plus complexes en les accompagnant dans l'élaboration et la concrétisation de leur vision. Elle conjugue un siècle d’expérience en conseil en stratégie avec l’expertise fonctionnelle et sectorielle du réseau PwC. Strategy& est membre du réseau PwC, présent dans 157 pays et regroupant 223 000 collaborateurs engagés au bénéfice de la qualité de service pour leurs clients et partenaires, dans les domaines du conseil, des transactions, du juridique & fiscal, de l'audit et de l'expertise comptable.

" PwC " développe en France et dans les pays francophones d'Afrique des missions de conseil, d’audit et d’expertise comptable, privilégiant des approches sectorielles.Plus de 223 000 personnes dans 157 pays à travers le réseau international de PwC partagent solutions, expertises et perspectives innovantes au bénéfice de la qualité de service pour clients et partenaires. Les entités françaises et des pays francophones d'Afrique membres de PwC rassemblent 5 800 personnes couvrant 23 pays.

 

Par Harley McKenson-Kenguéléwa

 

 

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