Nouvelle garde ivoirienne : ces start-up qui sont en train de construire l'économie africaine de demain
- Harley McKenson-Kenguéléwa

- 28 nov.
- 29 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 heures
Après avoir consacré un premier volet aux parcours de Linda Dempah (co-fondatrice & CEO d’Adeba Nature), Alex Assahoré (fondateur de COLONIE), Pierre‑Alexandre Assou (CEO de Flot), Jean-Philippe Lasme (fondateur d’EcolePAY) et les frères Délas & César N’dri (co-fondateurs de Wilyz), nous poursuivons notre exploration de l’avant-garde entrepreneuriale ivoirienne. Ces cinq premiers portraits — révélés dans notre dossier principal intitulé 10 start-up ivoiriennes à (très) fort potentiel, pour investisseurs exigeants — ont mis en lumière un élan : celui d’une génération qui ne se contente plus d’innover, mais qui structure des solutions capables de transformer durablement l’économie nationale et d’entrer en résonance avec les marchés internationaux.
Il est désormais temps de braquer les projecteurs sur les cinq autres talents qui complètent cette sélection exigeante : Marie-Ange Ehounou (gérante de Pouyou), David Say (fondateur de Myfiani), Loïk Behiri (co-fondateur d’AyoGreen), Andréas Gotiene (co-fondateur & CEO de Bokonzi) et Dr. Ousmane Soumahoro (fondateur de Umed eHealth Center). Chacun, dans son domaine, incarne cette convergence rare entre lucidité stratégique, maîtrise opérationnelle et capacité à répondre à des besoins réels avec des modèles évolutifs, scalables et pensés pour durer.
Leur présence au sein de cette cohorte n’a rien d’un hasard : ils font partie d’une génération d’entrepreneurs ivoiriens qui a intégré les codes de l’innovation globale, assume l’ambition, revendique l’impact et avance avec une maturité rarement observée sur un marché émergent. Leurs projets se situent à la croisée du digital, de la transition écologique, de la santé, de l’éducation ou encore de l’économie circulaire, autant de secteurs clés pour la transformation structurelle du pays et l’attraction de capitaux internationaux.
À travers ces cinq nouveaux portraits, CEO Afrique vous propose de prolonger l’analyse, de décrypter les signaux faibles et de comprendre pourquoi ces fondateurs sont, dès aujourd’hui, des acteurs avec lesquels il faudra compter dans les années à venir. Leur trajectoire raconte quelque chose de plus large : la montée en puissance d’un écosystème ivoirien plus solide, plus compétitif et désormais pleinement inscrit dans les standards mondiaux de l’innovation.

Crédit photo : ©CEO Afrique / Harley McKenson-Kenguéléwa
Sommaire
VI. Marie-Ange Ehounou, gérante de Pouyou : ériger une filière agro-nutritive dédiée au bien-être des enfants
VII. David Say, fondateur de Myfiani : cet ingénieur de la finance veut simplifier le traitement des transactions de paiement transfrontalières
VIII. La data comme levier de souveraineté agricole : le pari visionnaire de Loïk Behiri, co-fondateur d’AyoGreen
X. Dr. Ousmane Soumahoro, fondateur de Umed eHealth Center : le médecin qui réinvente l’hospitalisation depuis le salon des patients
Marie-Ange Ehounou, gérante de Pouyou : ériger une filière agro-nutritive dédiée au bien-être des enfants
Dans un pays où des centaines de milliers d’enfants voient le jour chaque année, mais où près d’un quart des moins de cinq ans présentent encore un retard de croissance, l’histoire de Marie-Ange Ehounou résonne comme un signal d’alarme — et comme une réponse possible. Pour cette nutritionniste ivoirienne et mère de famille, la lutte contre la malnutrition infantile est une mission née dans la douleur, au cœur même de son foyer.
Un éveil brutal, un engagement durable
Quelques semaines après la naissance de son enfant, Marie-Ange Ehounou fait face à l’impensable. Malgré ses connaissances scientifiques, malgré son expérience, son propre bébé développe des signes de malnutrition. L’épisode est bref mais bouleversant. « En Côte d’Ivoire, sur les plus de 800 000 bébés qui naissent chaque année, un enfant sur trois est encore atteint de malnutrition, ce qui n’est pas normal » s'émeut-elle, étayant son argumentation sur la base des estimations récentes de l’ONU et d’autres données publiques.
Ce témoignage poignant révèle la vulnérabilité dans laquelle se trouvent des milliers de familles ivoiriennes, souvent démunies devant un paradoxe cruel : les formules nutritionnelles importées — chères, peu adaptées aux réalités locales, difficiles à trouver — ou les préparations artisanales, certes traditionnelles mais rarement sécurisées, ne suffisent plus à protéger les tout-petits. En effet, Dans l’ombre des rayons bien fournis des supermarchés d’Abidjan se joue, depuis des années, une équation économique implacable : celle d’un pays qui dépend massivement des importations pour nourrir ses enfants. Poudre de lait, ingrédients pour préparations infantiles, aliments transformés etc... La Côte d’Ivoire en fait venir des tonnes, année après année. Les rapports internationaux, qu’il s’agisse d’études commerciales ou de notes de marché de l’USDA (United States Department of Agriculture), le répètent avec constance : le marché local reste arrimé à l’extérieur, soumis aux variations des cours mondiaux, et donc vulnérable. Cette dépendance se traduit par un coût en devises considérable et, mécaniquement, par des prix finaux souvent déconnectés du pouvoir d’achat réel des familles ivoiriennes.
Les comportements d’achat témoignent d’un pragmatisme contraint. De nombreuses enquêtes menées en Afrique de l’Ouest pointent une même réalité : les ménages à faibles revenus jonglent entre les produits industriels — perçus comme plus fiables mais sensiblement plus chers — et les préparations domestiques, moins onéreuses, plus accessibles, mais sans garanties nutritionnelles standardisées. Dans les zones rurales ou périurbaines, cette dualité se transforme en norme. Les bouillies locales, les porridges maison, les mélanges de céréales broyées constituent l’essentiel de l’alimentation complémentaire des nourrissons, faute de mieux.
À ces contraintes économiques s’ajoute un facteur moins visible mais tout aussi déterminant : la culture alimentaire. Les recettes familiales — bouillies de mil, préparations à base de manioc, souchet ou autres céréales locales — ont façonné des habitudes, des goûts et des textures auxquels les enfants comme les parents restent profondément attachés. Face à cela, les formules standardisées importées apparaissent souvent comme des corps étrangers : saveurs trop neutres, textures trop lisses, modes de préparation éloignés des pratiques ancestrales. Résultat : elles sont adoptées, parfois valorisées, mais rarement intégrées de façon naturelle dans les routines familiales.
À l’intersection de ces trois dynamiques — coût, accessibilité et adaptation culturelle — se dessine un marché où les produits importés peinent à s’imposer durablement, et où l’innovation locale apparaît non seulement pertinente, mais nécessaire.
De cette prise de conscience naît Pouyou, une initiative qui tranche avec les solutions habituelles. L’ambition est audacieuse, presque disruptive : « Épaulés par un pharmacien et un pédiatre, nous élaborons des formules infantiles 100 % locales, enrichies selon les recommandations de l’OMS, soigneusement traçables, pensées pour répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des enfants vivant sur le continent et, plus généralement, à nos coutumes alimentaires africaines». Pas une simple alternative aux produits importés, mais une réponse durable à un enjeu de santé publique qui freine encore le potentiel d’une génération entière.
Un projet à la croisée de l’urgence sociale et de l’esprit entrepreneurial
Pouyou est devenu au fil du temps un écosystème, une architecture pensée pour traiter la malnutrition à la racine plutôt qu’à la marge. Son ambition : reconstruire toute la chaîne de valeur, depuis le champ jusqu’au bol du nourrisson, en s’appuyant sur des ingrédients locaux — céréales anciennes, fruits d’Afrique de l’Ouest, plantes traditionnellement utilisées dans les bouillies maison — enrichis et fortifiés selon les standards internationaux. À cela s’ajoute une exigence rarement atteinte par les petites entreprises agroalimentaires du continent : une traçabilité rigoureuse, un accompagnement personnalisé des mères, et une distribution hybride, mêlant relais physiques et plateformes digitales.
Marie-Ange Ehounou, fondatrice et visage du projet, fait valoir les résultats de l’entreprise, plutôt éloquents : « Plus de 2 400 cas de malnutrition infantile guéris, plus de 80 000 bébés nourris, une communauté digitale de 110 000 mères, dont 30 000 ont déjà bénéficié d’un coaching dédié, et, au total, plus de 420 000 produits vendus depuis le lancement de Poyou ».
L’impact social se mesure aussi sur le terrain : Pouyou s’appuie sur une coopérative de 100 femmes productrices qu’elle accompagne, forme et rémunère durablement. Côté industriel, l’entreprise franchit un palier stratégique avec une capacité de production dépassant désormais 74 000 unités par mois — preuve que le projet, d’abord artisanal, s’enracine dans une logique d’industrialisation maîtrisée.
Ces résultats, prometteurs, s’inscrivent dans une urgence sanitaire bien documentée. Selon l’UNICEF, 23 % des enfants ivoiriens de moins de cinq ans souffrent encore d’un retard de croissance et 8 % d’émaciation. Dans un tel contexte, Pouyou apparaît comme bien plus qu’une jeune pousse innovante, s’imposant comme l’une des rares initiatives capables de concilier souveraineté alimentaire, transformation industrielle locale, et impact social tangible.
Une fondatrice ancrée dans la réalité locale
Crédit photo : ©Station F, ©HEC Paris

Ce qui distingue Marie-Ange Ehounou, c’est sa double légitimité : professionnelle (nutritionniste, coach pour la petite enfance) et personnelle (mère ayant vécu la malnutrition). Cette posture lui donne une compréhension fine des obstacles — économiques, culturels, logistiques — auxquels les familles font face.
Son approche combine pragmatisme et ambition : s’appuyer sur des matières premières locales — baobab, arachides, soja, mil, maïs, manioc, souchet ; moringa et néré — , valoriser les savoir-faire africains, tout en assurant qualité, sécurité et conformité. L’idée est de rendre la nutrition infantile accessible, saine et digne, sans dépendre des importations coûteuses.
Les défis du réel et les ambitions d’un avenir structuré
Dans une Côte d’Ivoire où chaque année près d’un million de bébés viennent au monde, la naissance est un indicateur économique majeur. Les projections démographiques des agences internationales, de l’ONU à l’UNICEF, dressent le même constat : le pays figure parmi les moteurs démographiques du continent, avec 800 000 à 1 million de naissances annuelles (.près de 600 000 naissances enregistrées en 2024 selon le dernier rapport de l’état civil). Un chiffre vertigineux qui dessine, pour qui sait le lire, l’un des plus vastes marchés potentiels d’Afrique de l’Ouest en matière de nutrition infantile, de prévention sanitaire et de produits à forte valeur ajoutée destinés à la petite enfance.
Pouyou, la jeune entreprise fondée par Marie-Ange Ehounou, s’inscrit précisément dans cette dynamique. À l’heure où la plupart des acteurs historiques s’appuient encore lourdement sur l’importation, l'entrepreneure ivoirienne veut bâtir une filière locale robuste, capable non seulement de répondre à la demande croissante, mais aussi d’élever les standards nutritionnels des tout-petits. Une ambition qui nécessite désormais un changement d’échelle.
Car Pouyou, portée jusque-là par une croissance organique et un impact social mesurable, se trouve à un tournant stratégique. Pour passer du statut de projet innovant à celui d’acteur industriel incontournable, l’entreprise prépare une nouvelle phase d’expansion. Et Marie-Ange Ehounou ne s’en cache pas : elle est en pleine levée de fonds : « Nos besoins aujourd’hui sont de 500 000 euros, car nous voulons augmenter notre capacité de production, développer de nouveaux produits pour accompagner nos bébés le plus longtemps possible, recruter des experts en production, en opérations et en nutrition, et devenir propriétaires de notre propre usine »
L’objectif est clair : internaliser l’outil industriel, renforcer l’expertise, diversifier l’offre, et sécuriser une chaîne de production capable d’alimenter durablement ce marché colossal que représente la petite enfance ivoirienne. Dans un pays où chaque naissance est un défi, mais aussi une opportunité, Pouyou entend désormais jouer dans la cour des grands — avec l’ambition assumée de redéfinir les standards de la nutrition infantile en Afrique de l’Ouest.
David Say, fondateur de Myfiani : cet ingénieur de la finance veut simplifier le traitement des transactions de paiement transfrontalières
Lorsque l’on parle des jeunes entrepreneurs qui veulent réinventer la finance en Côte d'Ivoire, le nom de David Say commence à revenir avec constance, non pas pour une appli grand public ou un réseau social viral, mais pour une ambition beaucoup plus structurante : fluidifier le flux des paiements internationaux en Afrique de l’Ouest grâce à l’intelligence artificielle.
Une trajectoire solide, entre ingénierie, banque et finance internationale
David Say n’est pas un "serial entrepreneur" impulsif ; c’est un professionnel aguerri. Ingénieur de formation (INP‑HB, Yamoussoukro), il a complété sa formation avec un Master in Management à ESCP Business School (promo 2009–2013), et un passage en échange à University College Dublin — signe d’une ouverture internationale dès ses années d’études.
Ce background académique, mêlant rigueur technique et sens des affaires, l’a mené à entrer dans le monde de la banque d’investissement. Il a exercé comme analyste à BNP Paribas (FIG Advisory), puis comme analyste risques de marché à Société Générale. Il gravit les échelons jusqu’à occuper un poste de chef de mission en audit interne sur les activités de marché, puis, à partir de 2019, un rôle de responsable du développement des activités de marchés dans une banque internationale.
Ce parcours — marchés financiers, conformité, risques bancaires, audit — lui a donné une compréhension solide des rouages du trade finance, des paiements transfrontaliers, de la documentation et des contraintes bancaires. En d'autres termes : il connaît le problème "de l’intérieur".
Quand l’expérience rencontre une ambition entrepreneuriale
C’est précisément cette expérience qui a constitué le déclic. Confronté, à plusieurs reprises, aux lenteurs, à la complexité et aux risques liés aux paiements internationaux — en particulier dans les opérations d’importation en Afrique de l’Ouest — David Say a décidé de ne plus y voir un mal indispensable, mais un problème à résoudre. l’ingénieur fonde alors Myfianii, une startup dont l’objet est simple mais ambitieux : digitaliser l’ensemble du processus documentaire des paiements internationaux, le rendre plus rapide, plus sûr et conforme. « Notre logiciel permet aux utilisateurs d’importer toute leur documentation sur la plateforme et de les accompagner les utilisateurs grâce à un système clair et synthétique qui attribue un score de conformité. Notre intelligence artificielle vérifie automatiquement chaque document et contrôle la conformité. Pour y parvenir, chez Myfianii, nous avons choisi de nous appuyer sur les meilleures technologies d’IA, car nous croyons que nos clients méritent les mêmes standards que partout ailleurs dans le monde » annonce t-il.
Pourquoi Myfianii est un pari d’avenir (et ce qu’il a d’unique)
Dans un paysage économique africain où les transactions transfrontalières restent un véritable casse-tête, Myfianii se positionne comme un pari d’avenir. La fintech, portée par l’expertise bancaire de son fondateur David Say, s’attaque à un goulot d’étranglement structurel : la complexité des paiements internationaux et la lourdeur documentaire qui l’accompagne. « Une entreprise qui souhaite effectuer ce type d'opération doit fournir un ensemble de documents nombreux, différents, complexes. Je vous laisse imaginer la quantité de travail que cela représente pour les entrepreneurs. De plus, rien ne garantit que ces documents seront traités à temps. Car ce sont encore des modèles papier, traités manuellement par la banque. Pour une opération d’importation, par exemple, entre 20 et 30 documents peuvent être exigés » rapporte David Say.
Selon le profil Doing Business 2020 pour la Côte d’Ivoire, la conformité documentaire pour une importation type mobilise environ 89 heures et coûte près de 267 dollars. Ces chiffres, bien que désormais historiques, illustrent parfaitement l’ampleur du problème : dans la pratique, la préparation et la validation des documents pèsent lourdement sur le délai et le coût des importations. Le rapport 2023 de la Banque mondiale et de l’IFC sur le financement du commerce en Afrique de l’Ouest confirme cette réalité : les coûts du trade finance sont élevés, et le déficit de financement dans la région avoisine les 13 à 14 milliards de dollars, les banques peinant à suivre la demande en raison de la complexité documentaire et des coûts de conformité.
Cette complexité n’est pas prête de diminuer. La BCEAO et divers rapports du FMI soulignent un renforcement des réglementations anti-blanchiment et KYC (AML/CFT), traduisant une exigence accrue de due diligence pour les banques. Dans ce contexte, Myfianii intervient pour simplifier et sécuriser ces processus, transformant une contrainte réglementaire en opportunité de valeur ajoutée.
Les retards dans les paiements transfrontaliers illustrent également le besoin d’innovation. Les données SWIFT et BIS révèlent que, si la médiane globale des paiements internationaux est inférieure à deux heures, certains corridors africains affichent des délais supérieurs à deux jours. Un constat qui fait écho à l'analyse de David Say : « Les coûts de traitement peuvent augmenter de près de 5 à 10 %. Ajouté à cela, le fait quees entreprises subissent des retards importants, avec 20 heures de charge de travail supplémentaires. Et malheureusement, près de 40 % des paiements internationaux effectués depuis l’Afrique de l’Ouest arrivent en retard. C’est pour cela que nous avons décidé de créer Myfianii ». Les inefficiences sont donc concrètes, et leur réduction représente un gain stratégique majeur pour les entreprises.
Le marché des solutions de paiement et de trade finance est déjà occupé par de nombreux éditeurs, souvent orientés vers les grandes banques et les multinationales. Pourtant, un vide stratégique subsiste : les PME et importateurs locaux restent largement sous‑servis. Myfianii entend combler cette niche en proposant une offre spécifiquement pensée pour ces acteurs, intégrée directement aux workflows des banques locales. La tarification est adaptée aux réalités des PME, l’onboarding est simplifié et la conformité répond aux exigences locales — des éléments qui font défaut dans la plupart des solutions internationales standardisées.
Cette approche confère à Myfianii un avantage opérationnel majeur. En combinant connaissance réglementaire locale, expérience utilisateur adaptée aux PME, partenariats bancaires solides et intégration technique simplifiée via API et connecteurs, la fintech peut déployer son produit plus rapidement et avec moins de friction que des concurrents généralistes.
Le marché lui-même montre que cette approche est attendue. La signature de contrats avec des institutions comme Bank of Africa et Conpend démontre que les banques sont prêtes à externaliser et automatiser certains processus documentaires et opérationnels. Myfianii peut ainsi adopter une double stratégie commerciale : vendre directement aux banques sous forme de licence (B2B-to-bank), ou proposer sa plateforme aux importateurs tout en fournissant un back-end intégré aux banques partenaires (B2B).
Un projet encore en phase pilote, mais à fort potentiel
À ce jour, Myfianii se trouve encore dans une phase pilote .Des tests du logiciel sont en cours avec plusieurs entreprises, mais la scalabilité de la solution n’a pas encore été démontrée publiquement. « Nous recherchons un financement de 350 000 euros pour accélérer l’automatisation et amorcer l’expansion ».
Cette étape comporte plusieurs implications. Tout d’abord, le modèle économique reste à préciser : la tarification, le licensing, l’abonnement ou la commission par transaction n’ont pas encore été communiqués officiellement. Ensuite, les métriques clés qui permettront de valider la valeur de la solution — nombre de clients, volumes traités, réduction des délais, retour sur investissement — restent à mesurer et à démontrer.
Les défis sont nombreux et tangibles. L’adoption par les banques, la conformité aux réglementations locales, l’intégration dans des infrastructures parfois archaïques, ou encore la fiabilité de l’intelligence artificielle face à des documents variés, sont autant d’obstacles que Myfianii doit surmonter.
Mais c’est précisément dans ces défis que réside l’opportunité. Si la fintech parvient à les maîtriser, elle pourrait devenir une infrastructure critique du commerce transfrontalier en Afrique, un véritable "plumber" digital pour les flux commerciaux internationaux. La promesse n’est pas seulement de fluidifier les paiements : c’est de transformer la manière dont le commerce africain s’organise, en réduisant les frictions, les délais et les coûts, tout en offrant aux entreprises et aux institutions financières une solution fiable et sécurisée.
Myfianii illustre parfaitement ce que recherchent les investisseurs dans la fintech africaine : un produit à fort potentiel, à la croisée de l’innovation technologique et d’un besoin économique profond, avec la possibilité de redéfinir les standards d’un marché encore largement fragmenté.
L’homme derrière le projet, un profil d’équilibre entre rigueur et vision
Crédit photo : ©Station F, ©HEC Paris

David Say incarne le type d’entrepreneur que l’on aime découvrir dans l’écosystème fintech africain. Avec un profil à la fois technique et financier, formé dans de grandes institutions et rompu aux enjeux de compliance et de gestion des risques, il dispose des compétences nécessaires pour bâtir une infrastructure de paiement fiable et crédible. Sa vision dépasse largement les frontières de la Côte d’Ivoire. L’objectif n’est pas seulement de moderniser la finance locale, mais de fluidifier le commerce interafricain, un levier de croissance stratégique pour l’ensemble du continent.
À cette vision s’ajoute une ambition mesurée mais réaliste. David Say ne promet pas la lune : il vise des gains tangibles pour ses clients — réduction des coûts, des délais et des erreurs — , apportant ainsi des solutions concrètes aux acteurs économiques trop souvent laissés pour compte dans les flux transfrontaliers. Cette combinaison de rigueur, de perspective continentale et de pragmatisme opérationnel fait de David Say un entrepreneur à suivre, capable de transformer une contrainte historique du commerce africain en opportunité durable.
Pourquoi David Say (et Myfianii) mérite qu’on suive leur parcours
Dans un contexte africain où l’économie continue de se mondialiser, où les importations et le commerce traversent les frontières plus que jamais, où la digitalisation financière s’accélère — l’innovation ne se trouve pas seulement dans les applis grand public, mais dans l’infrastructure : ce sont les tuyaux, les processus, les back‑offices qui manquent.
Myfianii a l’ambition de construire ces tuyaux. David Say, avec son passé bancaire rigoureux et sa vision entrepreneuriale, a les compétences pour le faire — s’il trouve les ressources, les partenaires et la confiance.
Quand on pense "fintech africaine", on pense souvent "paiement mobile", "wallet", "crypto" — mais le commerce international, les importations, les paiements transfrontaliers sont tout autant des leviers d’impact économique. Myfianii pourrait bien devenir l’un des building‑blocks invisibles mais essentiels de l’intégration économique africaine.
Ce portrait est loin d’être une prévision : c’est un appel au regard. Car si tout se met en place — technologie, partenariats, financements — Myfianii pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère pour le commerce et la finance en Afrique.
La data comme levier de souveraineté agricole : le pari visionnaire de Loïk Behiri, co-fondateur d’AyoGreen
Loïk Behiri incarne cette vague de jeunes dirigeants hybrides — à la frontière de l’agribusiness, de la tech et de l’innovation climatique — qui façonnent déjà les prochaines souverainetés agricoles du continent. Son ambition ? Donner aux producteurs africains les moyens de produire plus, mieux et durablement, grâce à la donnée.
Une agriculture sous pression : le point de départ d’une idée devenue mission
Loïk Behiri et son associé-fondateur se heurtent à une réalité frappante : une large partie des cultures locales ne parvient pas à exprimer son plein potentiel. Derrière ce constat se cache un mélange complexe de facteurs systémiques : des sols appauvris, des services météorologiques difficilement accessibles et un climat devenu capricieux, dont l’imprévisibilité menace directement la stabilité des récoltes. « Plusieurs centaines de millions d’hectares de sols sont dégradés à l’échelle du continent africain et bon nombre de producteurs sont confrontés au dérèglement climatique sans accès fiable à la météo » rapporte Loïk Behiri.
À cette fragilité naturelle s’ajoute une pression réglementaire croissante. Les piliers de l’économie ivoirienne — cacao, anacarde, hévéa, riz — sont désormais scrutés à l’aune des normes européennes les plus exigeantes en matière de traçabilité et de lutte contre la déforestation. Pour un pays dont les exportations agricoles vers l’Union européenne restent stratégiques , la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, exporte chaque année près de 1,8 million de tonnes, tandis qu’elle disposerait d’environ 21 millions d’hectares de terres arables, selon certaines estimations régionales. Ces chiffres, s’ils illustrent la puissance agricole du pays, doivent être mis en perspective avec la variabilité des données selon les sources. La question n’est plus seulement celle du volume, mais de la durabilité et de la conformité.
La dégradation des sols constitue un défi majeur. Le dernier rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), intitulé "The State of Food and Agriculture 2025", alerte sur un chiffre inquiétant : 1,7 milliard de personnes vivent dans des zones où la productivité agricole est réduite par des terres dégradées. Les conséquences sont tangibles. Érosion, perte de carbone organique, stress hydrique : là où ces phénomènes frappent, les écarts entre rendement réel et rendement potentiel — le fameux yield gap — peuvent être considérables. En Afrique, près de 494 millions d’hectares de terres agricoles subissent déjà ces contraintes, affectant des cultures aussi stratégiques que le maïs, le sorgho ou le manioc.
L’impact sur la sécurité alimentaire et sur les revenus des agriculteurs est direct. Les études agronomiques montrent que même sur des parcelles cultivables, les rendements actuels restent souvent très en-dessous du potentiel théorique. Dans ce contexte, combler le yield gap ne relève plus de la simple optimisation, mais d’une nécessité vitale pour l’avenir économique et écologique de la région.
C’est précisément ce constat — à la croisée des enjeux productifs, environnementaux et réglementaires — qui déclenche l'idée d’AyoGreen. « Des solutions existent : l’agriculture régénérative, qui repose sur le respect de l’écosystème naturel pour préserver la fertilité des sols ; la météo hyperlocalisée, offrant des prévisions précises à l’échelle de 100 m² ; ainsi que les systèmes de traçabilité, qui permettent un suivi rigoureux des produits » soutient Loïk Behiri.
AyoGreen : une plateforme née d’une intuition simple et forte
Fondée en octobre 2023 par Loïk Behiri et son associé Kouadio Kouame (Chief Executif Officer), AyoGreen s’impose comme une plateforme de données agricoles à la croisée de l’intelligence artificielle, de l’imagerie satellite et de l’analyse environnementale. Son ambition est claire : fournir à l’ensemble de la chaîne de valeur agroalimentaire des informations fiables, exploitables et continues, là où la donnée reste souvent dispersée, coûteuse ou tout simplement inexistante. « Notre ambition est de devenir une startup à impact continental, en nous appuyant sur trois leviers. Le premier concerne les données agricoles. Nous collectons des informations détaillées sur les sols — fertilité, qualité, carences — et les analysons grâce à notre intelligence artificielle pour proposer, parcelle par parcelle, des plans d’amélioration de la productivité. Le deuxième levier est l’intelligence géospatiale. En combinant imagerie satellite et météo hyperlocalisée, précise à 100 m², nous pouvons alerter les producteurs en temps réel sur la présence éventuelle de maladies ou de ravageurs, détecter le stress hydrique, et, pour ceux équipés d’irrigation, leur indiquer comment optimiser leur consommation et réduire leurs coûts. L’accessibilité est aussi au cœur de notre approche. Nous savons que le producteur se trouve souvent à 50 minutes de sa parcelle, dans sa communauté, et qu’il doit pouvoir obtenir facilement l’information. C’est pourquoi toutes nos recommandations sont accessibles sur smartphone, via WhatsApp, sous forme de messages vocaux en langue locale ou via un chatbot écrit en français » précise Loïk Behiri.
Sur le plan de la production, AyoGreen met en effet à disposition des exploitants des prévisions météo hyperlocales, des alertes précoces sur les maladies et des recommandations précises sur les besoins nutritifs des parcelles, tout en anticipant les rendements. Du côté de l’impact environnemental, la plateforme mesure la séquestration du carbone, fournit un score environnemental basé sur le Product Environmental Footprint (PEF) et évalue l’empreinte écologique des activités agricoles, permettant aux exploitants de suivre et d’améliorer leur durabilité. La conformité n’est pas en reste : AyoGreen facilite le respect des normes internationales telles que l’EUDR, Rainforest Alliance ou Fairtrade, assurant ainsi aux producteurs et aux acheteurs une sécurité face aux exigences réglementaires croissantes. Enfin, la plateforme accompagne les acteurs de la filière sur le plan économique, en proposant des prévisions de prix et un suivi des tendances locales et globales, offrant un avantage stratégique indispensable sur des marchés souvent volatils.
Le parcours d’un stratège : de la gestion internationale à l’agritech
Crédit photo : ©Station F, ©HEC Paris

Loïk Behiri n’arrive pas dans l’agritech par hasard. Après avoir suivi un Master 2 en International Programmes Management à IRIS Sup’, il forge d’abord une expertise dans la gestion de projets internationaux, l’analyse stratégique et le pilotage d’initiatives multisectorielles. Très tôt, il se spécialise dans les filières agricoles africaines : gestion de programmes de biodiversité au sein de Noé, développement d’activités agri-tech à Accra avec Degas, puis missions d’expertise et de pilotage de projets régionaux autour de l’innovation agricole.
Ces expériences successives — au croisement de la durabilité, de la transformation des chaînes de valeur et de l’opérationnel terrain — deviennent la matrice d’AyoGreen : une plateforme pensée depuis les besoins réels des producteurs, des coopératives et des acheteurs internationaux.
Son associé Kouadio Kouame, ingénieur en mathématiques appliquées (Sup Galilée) et diplômé en data science (Albert School) et lui-même forment un duo : vision business / vision technologique. « Nous bénéficions également de conseils émanant de grands groupes, d’acteurs financiers, de conseillers politiques et de spécialistes tech » ajoute Loïk Behiri.
En tant que Chief Business Officer, Loïk Behiri pilote la stratégie d’expansion, les partenariats institutionnels et la croissance commerciale. Son travail consiste autant à ouvrir des marchés qu’à structurer les produits et les modèles de diffusion auprès de coopératives, agro-industries, institutions de développement et organismes de certification. Sa force : traduire des enjeux technologiques complexes en solutions simples, scalables et compréhensibles pour les acteurs agricoles.
Ambitions et défis : la donnée comme nouveau levier de souveraineté agricole
Pour les prochaines années, Loïk Behiri et Kouadio Kouame voient grand. Leur ambition pour AyoGreen dépasse le simple accompagnement des exploitants : la plateforme aspire à devenir la référence africaine des données agricoles, une brique technologique essentielle pour répondre aux exigences de conformité comme l’EUDR, un outil stratégique d’aide à la décision pour les agriculteurs, coopératives, banques et industries, et un acteur central de la transition écologique dans des filières clés telles que le cacao, l’anacarde, le café, le palmier à huile ou l’hévéa. « Bien que notre produit soit opérationnel depuis moins d’un an, nous avons déjà séduit plus de 6 000 producteurs, couvrant plus de 14 000 hectares et générant plus de 43 000 euros de revenus. Plusieurs clients sont aujourd’hui actifs sur la plateforme, et nous prévoyons d’atteindre 140 000 hectares couverts dès l’an prochain, pour doubler ce chiffre d’ici 2027. Nous opérons actuellement en Côte d’Ivoire, et les échanges avec de nombreux leaders de la sous-région sont déjà engagés, tous prêts à nous accueillir. Parallèlement, nous avons noué des partenariats stratégiques avec le CNRA (Centre National de Recherche Agronomique), d’autres centres scientifiques, ainsi qu’avec plusieurs institutions qui nous accompagnent dans le déploiement et l’adoption de nos technologies » fait valoir Loïk Behiri.
Le potentiel économique de cette vision est immense. Le marché global de l’agriculture numérique — intégrant technologies, data, intelligence artificielle, imagerie et agriculture de précision — est estimé à plusieurs milliards de dollars. Selon un rapport récent de Global Growth Insights, il pourrait atteindre près de 7,8 milliards de dollars en 2025. Plus spécifiquement, le segment de l’agriculture de précision connaît une croissance rapide, et certaines analyses montrent que le marché agritech en Afrique reste largement sous‑exploité. Dès 2019, un rapport soulignait que les services numériques aux exploitants agricoles africains étaient "largement inexploités", laissant entrevoir un potentiel de développement considérable.
Avec une franchise rare, Loïk Behiri reconnaît qu’AyoGreen n’est pas seule sur ce marché et que la concurrence est réelle. Mais là où la plateforme se distingue, c’est dans son approche centrée sur les leaders paysans. « Nous sillonnons les pays pour rencontrer et discuter directement avec les leaders paysans. Ce sont eux qui valident nos solutions, puis qui sensibilisent et mobilisent les producteurs pour les diffuser » explique t-il. Autrement dit, les recommandations sont testées par ceux qui connaissent parfaitement les contraintes locales avant d’être proposées aux autres producteurs. Ce mécanisme renforce à la fois la crédibilité et la pertinence opérationnelle d’AyoGreen, la plaçant au‑delà des services standardisés ou purement numériques.
La stratégie cible une niche stratégique en Côte d’Ivoire : les petits et moyens producteurs de cacao et d’anacarde, fortement impactés par la déforestation et les exigences de traçabilité pour l’export. La valeur ajoutée d’AyoGreen réside dans sa capacité à combiner conseil personnalisé, hyperlocalisation, impact environnemental et conformité réglementaire, accessibles via des interfaces simples et multilingues. Là où la plupart des acteurs se limitent soit à la donnée agronomique, soit à la conformité, AyoGreen propose un service complet et intégré.
Le défi reste colossal : structurer des données sur des millions d’hectares, accompagner des filières entières dans leur transformation numérique et offrir aux producteurs des outils réellement adaptés à leur quotidien. Et pourtant, pour Loïk Behiri, la vision est limpide : rendre l’agriculture africaine plus résiliente, plus compétitive et plus durable, grâce à la puissance de la data. C’est un défi à la hauteur de cette nouvelle génération de dirigeants, née dans un monde en crise mais déterminée à réinventer les fondamentaux de l’agriculture, en plaçant innovation et durabilité au cœur de son action.
Réinventer l’éducation grâce à la valisette connectée Bokonzi : la promesse d’Andréas Gotiene
À seulement quelques années d’entrepreneuriat, Andréas Gotiene incarne déjà cette nouvelle génération de bâtisseurs africains : créatifs, visionnaires, ancrés dans la tech mais guidés par un profond sens de l’impact social. Co-fondateur & CEO de Bokonzi, une jeune EdTech abidjanaise positionnée à l’intersection de l’éducation, de la culture et du développement durable, il s’est donné pour mission d’aider les enfants à apprendre autrement — de façon plus ludique, personnalisée et accessible.
L’éveil d’une vocation
Aider un enfant à surmonter ses difficultés scolaires est souvent un défi pour les parents. Chaque enfant apprend différemment, et trouver des méthodes adaptées demande à la fois créativité et patience. Certaines solutions simples, inspirées par le jeu et l’imagination, peuvent transformer l’apprentissage en une expérience engageante et motivante. C’est dans cet esprit que Andréas Gotiene a partagé son témoignage : « Mon épouse et moi avons un enfant qui éprouve des difficultés à lire et à se concentrer. En tant que jeunes parents, cela a été un vrai défi : nous nous demandions comment l’aider. Un jour, nous avons eu l’idée de rendre son cahier d’exercices plus ludique. Nous avons dessiné des flammes en bas des pages et lui avons expliqué :"Si tu touches les flammes, tu perds, donc tu dois rester sur la ligne". Contre toute attente, il a travaillé ainsi pendant deux heures, avec passion. Nous avons pensé : "Nous tenons peut-être quelque chose". Nous avons ensuite essayé la même méthode avec l’enfant du voisin… même résultat. Puis avec la fille d’un ami… et encore une fois, cela a fonctionné ».
Plus globalement le défi est immense : en Côte d’Ivoire, près de 1,5 million d’enfants restent encore en dehors du système éducatif et plus de 30 % d’entre eux n’achèvent pas le cycle primaire . À cela s’ajoute un niveau de connexion numérique encore inégal, avec environ 40 % de la population ayant accès à Internet en 2024–2025 . C’est précisément dans ce paysage contrasté, fait de défis structurels mais aussi d’opportunités démographiques (une population très jeune), qu’Andréas a choisi de déployer Bokonzi.
L’ingénieur devenu bâtisseur d’opportunités
Crédit photo : ©Station F, ©HEC Paris

Originaire du Congo-Brazzaville, ingénieur en systèmes de sécurité électronique de formation, Andréas Gotiene se tourne très vite vers la communication, domaine dans lequel il cumule aujourd’hui une dizaine d’années d’expérience. Une double compétence rare — à la fois technique et stratégique — qui deviendra le socle de sa future aventure entrepreneuriale.
Installé en Côte d’Ivoire, pays qui l’adopte autant qu’il l’adopte, il y trouve un écosystème jeune, énergique et stimulant. Et le déclic surviendra lors de la 34ᵉ Coupe d’Afrique des Nations, organisée dans cinq villes ivoiriennes début 2024. Porté par l’effervescence nationale, inspiré par le foisonnement culturel de l’événement, Andréas décide de capitaliser sur cette dynamique pour lancer un projet qui reflète sa vision : une Afrique capable d’inventer ses propres solutions éducatives.
Bokonzi : Un modèle aligné avec les tendances du continent, entre matériel recyclé et intelligence algorithmique
Avec son épouse, Andréas Gotiene co-conçoit Bokonzi, une initiative qui bouleverse les codes traditionnels de l’éducation. Leur intuition : l’apprentissage doit être à la fois tangible et numérique. C’est ainsi qu’ils imaginent des kits scolaires fabriqués à partir de matériaux recyclés — sacs, cartables, cahiers, trousses — pensés comme de véritables outils pédagogiques. Chaque élément devient une porte d’entrée vers une plateforme numérique interactive, capable d’analyser la façon dont l’enfant apprend, puis de lui suggérer les points à améliorer, les matières à renforcer, et ses potentiels en développement. Une innovation à double impact : éducatif et environnemental, dans un pays où moins de 10 % des plastiques sont recyclés selon les analyses régionales de l’UNEP et de la Banque mondiale. « 75 % de nos produits sont fabriqués à partir de matériaux recyclés. Nous récupérons des bouchons de bouteilles d’eau minérale, des cartons de boîtes de chaussures, et nous organisons des ateliers où les enfants deviennent eux-mêmes co-créateurs de leurs kits éducatifs » soutient Andréas Gotiene.
Alors que l’Afrique voit son marché EdTech progresser à un rythme à deux chiffres — estimé entre 3,4 et 7,3 milliards USD selon plusieurs rapports — et qu’elle s’appuie sur une population dont l’âge médian tourne autour de 18 ans, Bokonzi s’inscrit dans une dynamique continentale forte. L’entreprise combine trois secteurs identifiés comme prioritaires dans les stratégies nationales et internationales : l’éducation, le digital et les industries culturelles et créatives.
Pour Andréas Gotiene, Bokonzi est un véritable mouvement. Son ambition : amener la solution au-delà des frontières ivoiriennes, toucher des milliers d’enfants dans toute l’Afrique francophone, créer un standard pédagogique plus adapté aux réalités du continent. Cet autodidacte veut faire émerger une génération pour qui apprendre rime avec plaisir, créativité et développement personnel — un contraste net avec les méthodes parfois rigides encore en vigueur : « Aujourd’hui, la Chine fabrique des jeux, l’Occident innove également, mais l’Afrique demeure majoritairement consommatrice. Notre ambition est d’inverser cette tendance en concevant des kits éducatifs connectés. C’est dans cette optique que nous avons créé une valisette éducative, car nous considérons que l’éducation et l’apprentissage sont un voyage — et pour voyager, il faut une valise. Cette valisette est connectée grâce à un QR code. Lorsque le parent le scanne, il accède à une plateforme numérique où il peut créer le profil de son enfant. À partir de questionnaires spécialement élaborés, notre algorithme détermine le profil éducatif de l’enfant (artistique, scientifique, kinesthésique, etc.). Le parent peut ainsi mieux comprendre le potentiel de son enfant et orienter son parcours d’apprentissage. Nous lui proposons ensuite des activités adaptées à ce profil. La valisette est mise à disposition des parents, des écoles et de toute structure éducative. L’enfant peut l’emporter partout avec lui, ce qui facilite et enrichit son apprentissage au quotidien ».
Mais la route n’est pas sans obstacles : besoin de financements, industrialisation des kits, partenariats institutionnels, contraintes logistiques du recyclage… autant de défis que l’entrepreneur aborde avec lucidité et détermination. « Nous avons aujourd’hui besoin de 115 000 euros. Ce n’est peut-être pas énorme par rapport au nombre d’enfants que nous voulons toucher, mais cela nous permettra de renforcer la qualité du matériel, d’assurer un fonds de roulement pour atteindre même les zones les plus reculées, et de former des coachs pédagogiques. Nous voulons produire et écouler près de 10 000 kits » espère Andréas Gotiene.
Ce qui distingue le geek, c’est sa capacité à donner du sens à la technologie, à la mettre au service de l’humain. Un trait rare, et de plus en plus recherché. Dans une Afrique où les courbes démographiques explosent et où les besoins éducatifs se complexifient, sa vision ouvre une voie : celle d’un futur où l’innovation n’est pas importée, mais créée localement, par des talents qui connaissent le terrain et vivent sa réalité.
Dr. Ousmane Soumahoro, fondateur de Umed eHealth Center : le médecin qui réinvente l’hospitalisation depuis le salon des patients
En Côte d’Ivoire, où l’on ne compte que 0,3 lit d’hôpital pour 1 000 habitants d’après les données consolidées de la Banque mondiale et de l’Organisation Mondiale de la Santé (via l’indicateur "Hospital beds", per 1,000 people), l’accès aux soins reste l’un des défis majeurs du pays. Dans un pays de plus de 32 millions d’habitants, le paludisme continue à frapper fort : près de 7,3 millions de cas ont été enregistrés en 2021. À ces chiffres alarmants s’ajoute une réalité encore plus dure : une grande partie des patients n’accède jamais à un lit d’hospitalisation. C’est dans ce contexte sous tension que naît Umed eHealth Center, fondé par Dr. Ousmane Soumahoro à l’ambition assumée : décentraliser les soins et rapprocher l’hôpital du patient, littéralement.
L’étincelle : transformer une frustration nationale en solution systémique
Pour Dr. Ousmane Soumahoro, la genèse d’Umed n’a rien d’un récit théorique. Pendant ses années de pratique clinique, le jeune médecin fait face à un système saturé : accueil difficile, files d’attente interminables, patients renvoyés faute de place. « Environ 85 000 personnes n’ont pas accès à un lit pour soigner le paludisme chaque année à l’échelle du pays », estime-t-il. Une réalité qui le marque durablement, notamment pour le paludisme, où des milliers de patients nécessitant une hospitalisation n’y accèdent tout simplement pas.
C’est cette impasse qui provoque le déclic. Avec son associé, il imagine une réponse radicale : créer le lit qui manque, mais au domicile du patient. Le concept des lits d’hospitalisation mobiles est né, et avec lui, une transformation profonde de la manière de soigner.
Umed eHealth Center : quand la santé s’invite à domicile, sans passer par l’hôpital
Dans un appartement de la capitale ou une maison en périphérie, il suffit d’un appel, d’une visite sur un site web ou d’un message sur les réseaux sociaux pour que la santé franchisse le seuil de la porte. En quelques heures, une équipe d’"e-docteurs" se déplace : consultation, prélèvements, analyses… et, si nécessaire, installation d’une hospitalisation à domicile. Tout cela sans que le patient ait à poser le pied à l’hôpital.
Cette approche incarne une véritable innovation structurelle. « Depuis son lancement, Umed a réalisé plus de 10 000 prestations à domicile, desservi 3 000 ménages et déployé une équipe de 70 prestataires et employés qui nous accompagnent dans notre projet.. Notre chiffre d’affaires, estimé à 250 000 € en 2025, repose sur un modèle rentable : pour une prestation facturée 150 €, la marge s’établit à 30 €. Et côté patient, l’économie est tangible : chaque journée d’hospitalisation évitée représente un gain moyen de 50 à 100 €. Fait notable, cette croissance s’effectue sans publicité, par simple recommandation » développe Dr. Ousmane Soumahoro.
Crédit photo : ©Station F, ©HEC Paris

À l’origine de cette transformation, ce jeune dirigeant incarne le pont entre expertise médicale et innovation numérique. Docteur en médecine depuis 2017, il cumule plusieurs expériences cliniques avant de se consacrer aux enjeux systémiques : comment rendre les soins accessibles à grande échelle ? Son parcours se distingue par des formations internationales. En 2021, il est sélectionné pour le prestigieux Mandela Washington Fellowship à l’Université du Nevada, Reno, un programme qui forme de jeunes leaders africains au management, au leadership et à l’innovation. En 2024, il consolide son expertise en santé publique globale lors des McGill Summer Institutes au Canada, où il obtient trois certifications clés : Digital Health, Pandemic Preparedness, et Public-Private Mix pour l’élimination de la tuberculose.
L’ambition : industrialiser le lit d’hospitalisation mobile
Après avoir posé les bases d’un modèle de soins à domicile déjà éprouvé, Umed s’attaque à son prochain défi : passer à l’échelle. L’entreprise affiche des objectifs ambitieux, mais précis : multiplier le nombre de lits mobiles disponibles, former et recruter une nouvelle génération de professionnels de santé, renforcer la télésurveillance et les services connectés, et étendre progressivement son activité à d’autres grandes villes du pays avant de viser la sous-région. « À la base, nous avions besoin d’un million d’euros. Avec 500 000 € déjà levés, nous recherchons désormais 500 000 € supplémentaires pour déployer notre modèle à grande échelle », informe le Dr Ousmane Soumahoro, fondateur d’Umed.
À long terme, la vision est claire : s’imposer comme le premier réseau africain d’hospitalisation mobile, structuré autour d’une plateforme digitale intégrée et d’une flotte de soignants mobiles surentraînés, capables d’apporter une prise en charge complète directement au domicile des patients.
Ce projet illustre une ambition rare sur le continent : combiner innovation numérique, mobilité et expertise médicale pour transformer durablement l’accès aux soins en Afrique. Umed n’est plus seulement un service ; il se profile comme un catalyseur de la modernisation du système de santé africain.
Un défi structurel, une vision africaine
Le défi est immense, logistique, réglementaire, financier. Mais l’ambition l’est tout autant : repenser entièrement la trajectoire du patient africain, faire tomber la barrière de l’hôpital saturé et proposer un modèle qui pourrait inspirer d’autres pays confrontés aux mêmes contraintes. « Investir chez nous, c’est investir dans une Afrique qui innove pour la santé, aussi bien qu’en Côte d’Ivoire qu’ ailleurs », rappelle-t-il. Une phrase qui résonne comme un manifeste.
À seulement quelques années de pratique, Dr. Ousmane Soumahoro s’impose déjà comme l’un des acteurs les plus prometteurs de la santé numérique en Afrique de l’Ouest. Avec Umed, il montre qu’un lit d’hôpital ne doit plus forcément être un lieu, mais peut devenir un service, agile, accessible et profondément humain.
Pour remonter à l’origine de cette sélection et découvrir les trajectoires des cinq premières pépites — Linda Dempah (co-fondatrice & CEO d’Adeba Nature), Alex Assahoré (fondateur de COLONIE), Pierre‑Alexandre Assou (CEO de Flot), Jean-Philippe Lasme (fondateur d’EcolePAY) et les frères Délas & César N’dri (co-fondateurs de Wilyz) — , nous invitons nos lecteurs à replonger dans le dossier principal en cliquant sur le lien ci-dessous :
Harley McKenson-Kenguéléwa



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