Le Big Data constitue clairement un enjeu vital pour les entreprises du monde entier. Alors que pratiquement toutes les sociétés à travers la planète s’attellent à collecter des données, les analyser, les valoriser et les exploiter sous forme d’information d’aide à la décision afin de gagner des parts de marché dans ce contexte de mondialisation, les startups africaines peinent à suivent le mouvement, faute de moyens ou d’infrastructures adéquates.
" Les startups africaines à l’ère de la data : pourquoi s’appuyer sur l’analyse de données lors du processus d'internationalisation ? " : Tel a été le thème du webinaire organisé le 8 avril dernier par le Sommet Emerging Valley, auquel ont participé Aïda Ndiaye (Public Policy Manager chez Facebook), Birame Sock (Fondatrice de Kweli & "Founder 5"), Serigne Fall (Responsable du pôle "Digital Growth" chez Looka), Idriss Marcial Monthe Djombissie (CEO de Cinetpay) et Dario Giuliani (Directeur de Briter Bridges) ; modéré par Cathy Sall (Conseillère Adjointe de Programme, International Trade Centre). Cette e-conférence, que le webzine CEO Afrique a visionné, a été l’occasion d’échanges des regards croisés entre experts et dirigeants d’entreprise sur les problématiques de la disponibilité des données à travers le continent africain et les pistes de réflexion pour que le big data permet à ces jeunes pousses de passer le cap de l’internationalisation dans de meilleures conditions.
Véritable source d'informations utiles au quotidien et inépuisable mine de détails, le Big Data s'avère de plus en plus important au sein des stratégies des start-up, car il présente l’avantage d’optimiser la gestion de ses données et de mieux peaufiner le profil de la clientèle-cible dans un monde de compétitivité économique de plus en plus farouche. Force est de constater que les startups africaines et leurs homologues européens, américains ou asiatiques ne sont pas logés à la même enseigne lorsqu’il s’agit de collecter des données.
« De par mon expérience aux États-Unis, on a eu accès à une pléthore de données sous différentes formes dans ce pays. Mais depuis que j'ai démarré ma propre start-up au Sénégal, je me suis très vite rendu compte du fossé existant entre ces deux mondes. Je n’avais pas accès facilement aux données lorsque je souhaitais réaliser des études de marché, en vue d’analyser la concurrence, cerner les habitudes des consommateurs et aussi optimiser mes opérations internes » constate Birame Sock, fondatrice & CEO de Kweli, une plateforme B2B de mise en relation entre producteurs et acheteurs globaux, et de "Founder 5", une structure d’appui aux startups à fort potentiel.
Certes, les données, devenues le nouvel eldorado du web, sont désormais affichées à la connaissance de tous, des sources d’informations gratuites et riches de renseignements, à travers des réseaux sociaux tels que LinkedIn, Twitter ou Facebook. Mais il convient de pointer du doigt le problème d’accès à Internet, constituant le nerf de la guerre sous l’angle du marketing. Les chiffres parlent d'eux mêmes : autour de 28.9 % de taux de pénétration au Cameroun, 17,7% en République Démocratique du Congo, 21,4% au Burkina Faso ou 11,9% au Togo, selon Internet World Stats. Toutefois, le problème du Big Data ne limite pas exclusivement à celui de la proportion d’internautes par rapport aux populations locales, d’autant plus qu’un bon nombre de pays réalisent déjà des scores relativement "honorables": 60.0 % de taux de pénétration Internet au Gabon, 56.7 % au Sénégal, 45.3 % en Côte d’Ivoire etc.. La difficulté réside surtout dans le fait que la disponibilité, la qualité et la mise à jour des informations recherchées font souvent défaut sur l’ensemble du continent. Ce qui amène à en déduire que les statisticiens, économistes, démographes, chercheurs et autres analystes ne sont pas suffisamment impliqués en amont dans la chaîne de valeurs du big data.
« [ ... ] Le problème principal dans la plupart des pays d’Afrique demeure l’accès à l’information. Les données ne sont pas souvent présentes sur Internet, atteste Dario Giuliani, directeur de Briter Bridges, une société de conseil en innovation sur les marchés émergents. Pour aller chercher cette information, il faut élaborer des questionnaires ou des interviews auprès de ses interlocuteurs, avant de l’analyser ».
Aïda Ndiaye, chargée des politiques publiques chez Facebook, abonde dans ce sens, précisant que : « beaucoup se sont exprimés sur le fait que c'est très difficile de faire des sondages en ligne, et donc d'avoir de l'information, car la majorité des africains ne sont pas encore connectés » et soulignant au passage que « quand on parle de collecter et partager les données en ligne, il faut qu'il y ait au préalable une meilleure connexion ».
Des opinions émanant de ces deux e-conférenciers, partagées par Idriss Marcial Monthe Djombissie, CEO de l’agrégateur de solutions de paiement Cinetpay, qui présente une position un peu plus nuancée, surtout à propos de situations où la collecte des données est potentiellement réalisable.
« En Afrique francophone, la donnée est une denrée très rare, voire secrète. Et les données qui sont censées être publiques se transforment parfois en "données privées" ! » déplore t-il.
Quelles stratégies big data pour les start-up et les PME africaines ?
C'est une question de bon sens d'un point de vue relatif aux études de marché : Il est inconcevable pour des start-up africaines d’identifier des prospects, d’optimiser
leurs leur stratégie marketing et, de ce fait, changer profondément le rapport de force économique mis en place par les entreprises américaines, chinoises ou européennes si elles n’augmentent pas de manière substantielle leurs bases de données. Comme évoqué précédemment, la première solution, peut-être la plus importante, est de mettre à contribution des économètres-statisticiens et des analystes dans la production locale de données fiables complètes et généralisables. Il en va aussi de la responsabilité des acteurs publics de s’inscrire dans cette démarche, quitte à doter les pays de leurs propres data centers capables de conserver des quantités faramineuses d’information, qui brillent actuellement par leur insuffisance en nombre sur leur continent.
Cependant, l’enjeu pour les entreprises ne doit pas se résumer à la production ou la collecte de gigantesques masses de renseignements à l’état brut. Il est aussi indispensable d’analyser de manière prédictive ces données et de distinguer ce qui relève du stratégique et ce qui n’est aucunement recommandable, afin d’ aider les start-up dans leurs prises de décisions dans le cadre de leur processus d'internationalisation, et de transformer ces données en véritables clés de compréhension décisives des comportements des consommateurs. À ce titre, Serigne Fall, en charge du pôle "Digital Growth" chez Looka, une plateforme numérique pour simplifier le processus d’études de marché, apportent son éclairage et ses enseignements sur la question :
« [ ... ] Nous disposons de nos propres outils et enquêteurs spécialistes des études de marché. Le fait de mener des enquêtes engendre de bien meilleurs résultats lorsque ce sont des jeunes, connaissant mieux la réalité du terrain, qui s’adressent aux gens de manière très familière pour recevoir toutes les informations indispensables au développement de leur start-up. Cela a été aussi possible pour nous d’approcher le secteur informel ou les commerçants du coin pour pouvoir récolter toutes ces informations [ .... ]. Étant donné que nos jeunes sur le terrain interrogent et obtiennent les réponses via notre application mobile, les données sont transférées de façon quasi-instantané vers nos clients. On peut suivre l’évolution des enquêtes au jour le jour et, au final,, obtenir les résultats définitifs, avec la possibilité d’obtenir des rapports détaillés émanant de notre équipe d’enquêteurs, en vue d’aider ces entreprises à prendre les meilleures décisions possibles. Au delà de nos outils de compréhension du marché, nous utilisons aussi Google Analytics qui permet de récolter plusieurs données géographiques comme par exemple le top 5 des pays des internautes qui viennent visiter un site [ .... ] ».
En somme, rien ne vaut des actions de terrain et des contacts directs avec les prospects pour mesurer les impacts en termes qualitatifs dans le contexte africain.
De son côté, le cabinet d'études Briter Bridges mise davantage sur la publication d'une myriade de rapports détaillés, assortis d’un niveau de détails assez pointus sur les différents écosystèmes start-up et sur le paysage de l’investissement en Afrique, gage de légitimité, de crédibilité et de véracité des données pour les entreprises qui les exploitent.
« Chez Briter Bridges, notre stratégie est d’établir des partenariats avec des startups, des investisseurs ou des Tech hubs et nous publions gratuitement beaucoup de rapports et cartographies, destinés au grand public. Nous collaborons également avec des gouvernements africains, parmi lesquels ceux du Kenya et du Nigeria, ainsi qu'avec l’alliance Smart Africa. Nous avons récemment réalisé en français et en anglais une étude intitulée "Investment & Technology in French-speaking Africa", en collaboration avec des entrepreneurs et des investisseurs figurant parmi les plus actifs dans cette partie du monde. Je pense que la première étape consiste à gagner la confiance auprès des utilisateurs de données et il faut définir des stratégies pour gagner la confiance, en publiant par exemple beaucoup de contenus » martèle Dario Giuliani.
S’appuyant sur le modèle du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) en Europe, Aïda Ndiaye plaide fortement, pour sa part, en faveur de l’instauration d’un cadre juridique et réglementaire similaire sur le continent, dotés de normes africaines, qui susciterait grandement de la confiance quant à la collecte des données.
« Aujourd'hui, le RGPD est considéré comme l'un des meilleurs cadres juridiques au monde, en termes de protection des données » observe la responsable des politiques publiques chez Facebook.
En effet, les données récoltées par les startups sont susceptibles d’aider à élaborer une stratégie marketing beaucoup plus réfléchie. Mais d’éventuels pertes, détériorations ou vols de données par des concurrents pourraient sérieusement entraver leur croissance, au risque de porter un coup d’arrêt brutal à la pérennité de leurs activités. D’où la nécessité absolue pour les régulateurs nationaux de mettre en place un arsenal juridique très complet en la matière.
Pour pouvoir avoir de la donnée, il faut pouvoir en donner ; on récolte de la donnée pour pouvoir l'enrichir et l’échanger avec d'autres.
Aïda Ndiaye est aussi favorable à plus d'interopérabilité et de flux de données transfrontaliers, avec l’idée que la ZLECA (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) pourrait accélérer le mouvement. « Mais cela va dépendre de la volonté politique des dirigeants africains » espère t-elle.
Dans la même lignée de pensée, Birame Sock appelle à procéder, au plus vite, à plus de partage des données entre les entités et s’en explique :
« On parle souvent de la data comme une "denrée". Pour ma part, je considère plutôt la data comme une "devise" [ ... ]. Pour pouvoir avoir de la donnée, il faut pouvoir en donner ; on récolte de la donnée pour pouvoir l'enrichir et l’échanger avec d'autres. Plus cet apport est riche, plus cette donnée a de la valeur sur le marché. Par exemple aux États-Unis, les sociétés publiques, qui publient régulièrement des rapports sur leur activité, ont l'obligation de mettre ces données à la portée de tous, y compris à tous leurs actionnaires. Non seulement, cela leur fait de la publicité, mais cela permet aussi d’entamer des négociations avec de tierces organisations en vue de conclure de partenariats afin de créer des bases de données beaucoup plus importantes ».
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
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