L’Afrique face au défi de la durabilité : entre ambitions locales et normes environnementales internationales
- Harley McKenson-Kenguéléwa
- 5 mai
- 34 min de lecture
Au moment où la planète accélère sa transition vers des modèles plus sobres, l’Afrique se retrouve au cœur d’un paradoxe stratégique : jamais le continent n’a été autant sollicité pour fournir les matières premières essentielles à la transition énergétique mondiale, tout en étant simultanément soumis à des normes environnementales, sociales et de gouvernance de plus en plus exigeantes. Dans ce nouvel échiquier global, l’Afrique de l’Ouest occupe une place singulière. Les organisations régionales — de la CEDEAO à l’UEMOA — ont multiplié les stratégies climatiques et énergétiques, adopté de nouveaux référentiels et renforcé leurs ambitions. Pourtant, les réalités du terrain rappellent que la durabilité ne peut être décrétée : elle doit se construire, quotidiennement, dans des écosystèmes économiques marqués par des capacités inégales, des systèmes de traçabilité encore fragmentés et des PME confrontées à des exigences qui dépassent souvent leurs moyens. Ce dossier revient sur un enjeu central : comment concilier les ambitions locales et les impératifs internationaux sans sacrifier ni la compétitivité ni la souveraineté des acteurs africains ? Il explore les ressorts d’une coopération plus équilibrée entre États, bailleurs, entreprises et producteurs, analyse les tensions provoquées par l’importation de standards conçus à Bruxelles ou à Paris, et décortique les pistes opérationnelles — harmonisation réglementaire, financement adapté, innovation technologique, plateformes de données régionales — capables de réduire les frictions et d’accélérer l’intégration régionale. À travers les exemples récents de la stratégie hydrogène vert de la CEDEAO, du plan 2025–2030 de l’UEMOA ou encore des avancées en traçabilité dans les filières cacao, ce dossier répond aux questions essentielles : qui pilote la transformation durable en Afrique ? Avec quels outils ? Selon quelles temporalités ? Et comment garantir que les normes mondiales favorisent réellement la montée en puissance des acteurs locaux plutôt que leur marginalisation ? Dans le cadre d’un atelier "Durabilité : la sustainability doit-elle être différente sur le continent africain ?", organisé le 29 avril dernier par L’Opinion et le CIAN — lors de la 15e édition du Forum Investir en Afrique —, des professionnels du secteur ont apporté leur éclairage sur ces transformations à l’œuvre. Notre dossier propose une lecture analytique et pédagogique, mettant en lumière les défis, mais aussi les opportunités, d’une transition verte que le continent est en train de réinventer à sa manière. Une transition qui, loin d’être un simple alignement sur des standards internationaux, pourrait bien devenir l’un des laboratoires décisifs d’un nouveau modèle de durabilité globale.

Crédit photo : ©CEO Afrique / Harley McKenson-Kenguéléwa
« On demande à nos États, qui ne sont pas pollueurs, d’accéder au financement vert. Pourtant, pour y parvenir, il faut présenter un bilan carbone que seules les entreprises peuvent produire. Or nos États ont d’autres priorités : ils ne vont pas taxer les entreprises pour cela. Résultat, ni les États ni les entreprises africaines n’ont accès au financement vert. Ils se retrouvent entre le marteau et l’enclume ». Cette déclaration, formulée par SM Georges Des Victoires Abada, président du Poul des investisseurs africains (PIA), avec une lucidité désarmante lors du Forum Investir en Afrique organisé le 29 avril dernier par L’Opinion et le Cian au Novotel Paris Tour Eiffel, résume à elle seule le paradoxe africain face à la transition durable. Au cours de l’atelier intitulé "Durabilité : la sustainability doit-elle être différente sur le continent africain ?", plusieurs experts — banquiers du développement, investisseurs et représentants institutionnels — ont confronté leurs visions sur un enjeu devenu central : comment concilier ambitions de croissance et impératifs de durabilité imposés par les standards internationaux.
La durabilité, concept désormais au cœur de toutes les politiques économiques et environnementales, ne se limite plus à la seule protection de la planète. Elle englobe un triptyque : croissance économique, inclusion sociale et préservation des ressources naturelles. Héritée du développement durable, la notion de sustainability s’est technicisée : elle s’évalue désormais à travers des cadres normatifs exigeants – la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la taxonomie européenne ou encore les obligations de transparence en matière d’ESG (environnement, social et gouvernance). Ces dispositifs visent à orienter les flux financiers vers les projets respectueux du climat, mais leur complexité rend leur appropriation difficile pour les économies émergentes. « Les déchets représentent une véritable richesse. Ils peuvent être transformés en engrais pour l’agriculture, en énergie renouvelable ou en matériaux de construction. Ce que l’on considère souvent comme une simple "poubelle" a en réalité beaucoup de valeur. Pour exploiter pleinement ce potentiel, il est nécessaire que assurances, banques et volonté politique travaillent de concert » fait valoir SM Georges Des Victoires Abada.
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