Quatrième économie de la sous-région d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est doté d’un environnement propice aux affaires dont peuvent profiter les petites et moyennes entreprises. De nombreux secteurs y offrent un potentiel de croissance accru, comme en témoignent quelques entrepreneurs qui ont su tirer leur épingle du jeu.
" Sénégal : Situation actuelle et poursuite du Plan Sénégal Émergent " : Tel a été le thème du webinaire organisé le 11 Février dernier par le CEAF (Comité d'Échanges Afrique - France) — créé par la CCI Paris Île-de-France (Chambre de Commerce et d'Industrie de la région Paris - Île-de-France) — auxquels ont participé Véronique Keller (CEO de S3A), Loïc Tchuenkam (Chargé d'affaires export, directeur du Bureau " Business France ' au Sénégal) et Aziz Senni, (Fondateur de C Mon Taxi ! ), modéré par Zoubir RABIA (Chef de projets internationaux, CCI Paris IdF).
Le webzine CEO Afrique, qui a visionné cette e-conférence, en a tiré les extraits les plus significatifs des interventions des panélistes, en rapport avec la thématique choisie, c'est-à-dire les secteurs porteurs au pays de la Teranga.
Le Sénégal possède un fort potentiel de développement dans une pléthore de secteurs. Ce pays joue, aux côtés de la Côte d’Ivoire, un rôle pivot en Afrique de l'Ouest francophone, notamment en matière économique, ce qui fait de cet État l'une des destinations d’affaires phares dans cette zone.
« Les autorités ont mis en place un "Plan Sénégal Émergent" qui vise à accélérer le développement économique du Sénégal, se matérialisant par des feuilles de route triennales. Ce plan a permis d’initier un certain nombre de projets, créant une véritable dynamique positive. Le pays a enregistré une croissance moyenne de plus de 6% sur les dernières années. Bien évidement, cette dynamique, qui a porté l’économie nationale, a été interrompue au cours de l'année 2020, avec un taux de croissance qui sera légèrement négatif ou compris entre 0 et 1%, selon les estimations. Mais l’on s'attend à un rebond significatif en 2021 » explique Loïc Tchuenkam, directeur du bureau "Business France" au Sénégal.
L'économie sénégalaise, comme celle de tant d'autres pays, est effectivement secouée par la crise liée à la pandémie de Covid-19. Pour autant, la solidité de ses acteurs économiques offre aux investisseurs une réelle diversification.
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D’innombrables possibilités d'investissement
Le dynamisme sénégalais est d’abord porté les services, avec une dominante pour les secteurs des transports et des télécommunications, contribuant ainsi à hauteur de 60% du Produit Intérieur Brut (PIB).
« Dans la stratégie d’émergence du Sénégal, une place centrale a été accordée aux projets d’infrastructure, que ce soit les infrastructures routières ou celles concernant la mobilité, avec notamment la phase 1 du TER [Train express régional Dakar-AIBD, NDLR] qui devrait être mis en service au cours de cette année 2021, le projet de BRT "Bus Rapid Transit ", qui sera opérationnel d’ici 2022 et le projet de construction d’un nouveau port en eau profonde, Ndayane, qui permettra de désengorger le port de Dakar » rapporte Loïc Tchuenkam.
L’agriculture est une niche porteuse, un secteur qui ne représente qu’environ 18% du produit intérieur brut.
« Les secteurs de "souveraineté" tels que les filières alimentaires et sanitaires ont vu leur priorité relever. Ce plan d’action prioritaire, mis en oeuvre jusqu’en 2023, prévoit environ 22 milliards d’euros d’investissement [ ... ]. On assiste à l’émergence de véritables champions nationaux, à l’instar de SEDIMA, un grand groupe actif dans l’agro-alimentaire : production de farine, alimentation animale etc ... » poursuit le directeur du Bureau de Business France au Sénégal.
Autre point à souligner : plusieurs projets d'infrastructures liés aux énergies renouvelables sont donc en construction afin d’augmenter leur capacité de production.
« Le thermique représente encore plus de 70 % du mix énergétique sénégalais. L’ambition des autorités est d'augmenter la part des énergies renouvelables dans ce mix . De gros efforts ont déjà été consentis en ce sens là. Nous sommes passés, en quelques années, de pratiquement 0% à près de 23% d’énergies renouvelables dans ce mix énergétique. D’autre part, des mesures d'incitation fiscale ont permis d’exonérer des droits de douane les importations d’équipements liés à des installations solaires [ ... ] » observe Loïc Tchuenkam.
Pour leur part, les industries extractives se portent bien. Ses produits représentent par ailleurs une part non négligeable des exportations du pays.
« Le Sénégal produit des minerais, particulièrement du phosphate depuis près de 70 ans [ ... ]. Aujourd’hui, l’or constitue près de 20% des recettes à l’exportation. Le pays produit depuis peu des sables minéralisées, avec notamment l’exploitation d’une mine située à Diogo, au Nord-Est de Dakar. De plus, 10 milliards d’investissements seront injectés dans le projet d’exploitation du champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim, situé à cheval entre les eaux offshore du Sénégal et de la Mauritanie, dont la production démarrera en 2023. Ce secteur va véritablement servir de relais de croissance » assure t-il.
À noter que le Sénégal s’intéresse de plus en plus au secteur du numérique et des nouvelles technologies.
Des expériences de terrain enrichissantes et inspirantes
Connu pour avoir lancé en France "Alliance Transport et Accompagnement" — une société dont le concept est calqué sur celui des taxi-brousses — et le fonds "Impact Partenaires" (ex-Business Angels des cités), Aziz Senni effectue un premier séjour à Dakar en 2015 à l'invitation d'un ami sénégalais :
« Je suis tombé littéralement amoureux du Sénégal et j'y suis revenu [ .... ] . Comme on regarde toujours les choses par le prisme de ses propres expériences, je me suis lancé dans le secteur des taxis à Dakar, où il existe un véritable besoin ».
Avant d’y implanter sa société, ce serial entrepreneur franco-marocain s’est ainsi très vite rendu compte qu'il y a de nombreuses opportunités à saisir et établit le constat suivant :
« On dénombre officiellement 25000 taxis à Dakar, dont 90% sont loués à des tiers par des chauffeurs qui, pour la plupart d’entre-eux, utilisent ces véhicules durant une vingtaine, voire une trentaine d’années sans en devenir propriétaires. D’autant plus que près de 60% de ces taxis ont plus de 34 ans ; ces véhicules sont vieux, polluants et peu sécurisés. Ajouté à cela, le fait qu’il n’existait aucun programme de formation spécifique au métier de chauffeur de taxi, à l’accueil et la conduite de la clientèle ... ».
C'est à partir de ce constat que l'idée lui est venue, avec l’appui d’experts, de créer "C Mon Taxi !" qui se décline en quatre métiers : la formation des jeunes diplômés au métier "d’entrepreneur-taxi" sous tous ses aspects (gestion, marketing, commercial, sécurité routière, tourisme ...) ; la location-vente de véhicules neufs éco-responsables sur une période de cinq ans ; la gestion d’applications mobiles de mise en relation entre les chauffeurs et la clientèle; et l’utilisation du véhicule en tant que support publicitaire .
« "C Mon Taxi !" a pour objectif de développer 3000 taxis en cinq ans sur Dakar, tout en intégrant cette notion d'impact social à notre marché. Aujourd’hui , nous avons l’appui, l’accompagnement et le soutien de toutes les instances, dont la présidence du Sénégal, le ministère des transports, le syndicat des taxis, la Délégation générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER) et l'Agence Nationale de Promotion de l'Emploi des Jeunes (ANAPEJ) » affirme Aziz Senni.
Pragmatique, le dirigeant de "C Mon Taxi !" suit entre-temps des cours à l’université Cheikh Anta Diop, en vue d’une meilleure immersion dans son nouvel environnement :
« [ ... ] J’y ai pris des cours de sociologie pour comprendre l’histoire ; j’ai suivi des cours de langue pour aller vers l’autre; je me suis installé dans un quartier où ne réside aucun expatrié, pour côtoyer ce Sénégal tel que je me le représente afin de m’y intégrer plus facilement ».
Cependant, cette aventure entrepreneuriale ne s'est pas déroulée sans heurts et impliquait parfois de prendre en considération la réalité du terrain et du marché.
« Une des barrières auxquelles j’ai eu à faire face est la problématique du financement. J’ai été déçu par la frilosité des filiales des banques françaises au sujet de l'octroi de crédit, contrairement à leurs homologues africains qui connaissent très bien le terrain, se souvient-il. [ ... ] Par ailleurs, Il faut modifier notre interprétation du temps. La notion du temps à Paris n’est pas le même qu’à New York. Les Anglo-saxons sont quatre, voire cinq fois plus rapides que nous, à prendre des décisions, à faire preuve de pragmatisme etc... Par analogie, le temps à Dakar n’est pas le même qu’à Paris. Il faut en tenir compte dans les projections et les business plans. J’ai dû élaborer mes documents prévisionnels à deux reprises pour tenir compte de ce facteur "temps" [ ... ] ».
En dépit du succès reconnu à son projet, Aziz Senni ne cherche aucunement à présenter une image idéalisée de son expérience entrepreneuriale au Sénégal, mais à contrario, a tenu à livrer ses conseils et recommandations sur la façon de mieux appréhender les marchés locaux africains et préparer une commercialisation plus étendue :
« Venir s’implanter à Dakar signifie qu’il faille pouvoir tout déconstruire pour oublier les fondamentaux du management et tout reconstruire, aller vers l’autre pour le comprendre dans son histoire et sa dimension culturelle, arriver en posture humble et ne pas croire que l’Afrique les attend [ ... ]. Une aventure économique, c’est avant tout une aventure humaine qui donnera lieu par la suite à du commerce » .
Tout comme Aziz Senni , Véronique Keller a trouvé du sens à sa carrière en étendant les activités de la société S3A (Solutions pour l'Agro-Alimentaire en Afrique), dont elle est la fondatrice, au-delà des frontières hexagonales.
« J’ ai eu un vrai coup de cœur pour le Sénégal », concède cette ingénieure agronome spécialisée en agroalimentaire.
À Dakar, elle accompagne donc les professionnels de la boucherie et la charcuterie dans la transformation et la valorisation des produits agricoles. La société S3A, créée en 2014 à Crépy-en-Valois, a adjoint au cœur de son métier une offre multi-service : transformation en carcasse, quartiers et abats, valorisation et recyclage des coproduits d'abattoir, fourniture de matériels destinés aux opérations de découpe de la viande, emballages etc ...
La raison de ce positionnement ? « En Afrique et particulièrement au Sénégal, il y a énormément de produits agricoles à valoriser. Environ 30% de cette production est définitivement perdue parce que les pratiques et techniques de conservation n’y sont pas développées. Ces industries génèrent de nombreux coproduits encore valorisables [ ... ]. Le challenge, c’est de pouvoir transformer et conditionner la viande et d’en faire des produits adaptés au marché local, en termes de qualité et de prix de revient » explique Véronique Keller.
L’intérêt, c’est aussi d’alléger la facture présentée à la clientèle (boucheries, charcuteries, grandes surfaces ....) en devenant sur place un prestataire unique, et en leur évitant ainsi d’accomplir des formalités d’importation beaucoup plus onéreuses et complexes.
En outre, ces activités présentent des problématiques similaires à celles de la restauration, c’est-à-dire former du personnel à faible qualification .
« Lorsque je fais installer un atelier de découpe et transformation de viande, je ne me contente pas de mettre en place les équipements ; je participe également au recrutement des équipes. je les forme jusqu’à ce qu’elles n’aient plus besoin de mon assistance » précise la cheffe d’entreprise.
Désormais, Véronique Keller peut s’enorgueillir de bénéficier d’une base de clients fidèles au Sénégal :
« Cela fait six ans que j’essaie de convaincre des industriels de valoriser leur coproduits [ ... ]. Aujourd’hui, les choses vont dans le bon sens. Deux d’entre eux s'apprêtent à se lancer dans la transformation de coproduits, dont la chair restante et les arêtes de poisson serviront à fabriquer des boulettes et croquettes, destinées aux fast-foods et aux gargotes sur le marché local » conclut-elle.
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
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