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RD Congo : une loi "Startup Act" pour faire entrer les start-up innovantes dans la cour des grands

Dernière mise à jour : 9 mai


Fruit d'une large consultation de l’écosystème entrepreneurial et d’innovation, le "Startup Act RDC" a pour objectif de couvrir tous les besoins des jeunes pousses : exonérations et allègements fiscaux, facilité d'accès aux financements, participation accrue des startups aux commandes publiques, mécanismes d'incitation au capital-risque, simplification administrative etc ... Lors d’une conférence intitulée "Startup Act RDC" qui s’est tenue le 23 Novembre dernier au Pullman Kinshasa Grand Hotel — organisée par l’ambassade du Royaume des Pays-Bas et la Délégation de l’Union européenne — , ce dispositif juridique a été présenté dans ses grandes lignes auprès d’un vaste auditoire de gens d’affaires et de jeunes entrepreneurs, un événement auquel le webzine CEO Afrique a pu assister en ligne. Plusieurs panélistes en ont également profité pour exposer leurs réflexions et leurs préoccupations.




C’est une petite révolution qui, aujourd’hui, est en train de se produire presque discrètement en République Démocratique du Congo, déclenchée par l’adoption d’une "Startup Act", via l’Ordonnance-Loi n°22/030 du 08 septembre 2022 relative à la promotion de l’entrepreneuriat et des startups. Ce renforcement du cadre juridique lié aux sociétés a pour but de créer une environnement global favorable au développement des jeunes pousses technologiques et, plus globalement, devenir à terme une nation de créateurs d’entreprises.


SEM Jolke Oppewal, ambassadeur des Pays-Bas en RD Congo, ne cache pas son enthousiasme : « Pour que de nouvelles start-up naissent, réalisent pleinement tout leur potentiel et puissent prospérer, il était nécessaire d’élaborer une législation solide. Nous sommes extrêmement fiers d'avoir travaillé, ces dernières années, en étroite collaboration avec le gouvernement congolais et accompagné le secteur privé, les startups, les incubateurs et toutes les autres parties prenantes concernés par la mise en place du Startup Act congolais. Ce Startup Act a pris forme et vie lentement mais sûrement, grâce en partie au soutien de la fondation i4Policy qui a su mettre à contribution sa vaste expérience et ses profondes connaissances en la matière acquises dans d’autres pays africains. Cela a vraiment été un processus participatif, inclusif et co-créatif [ ... ]».


Un discours introductif, rempli de passion, auquel a souscrit Félix Mangwangu, CEO de Ishango Startups Center et co-fondateur de Kinstartup Academy : « Quand l’initiative a été lancée, il n’y avait que quelques incubateurs qui ont constitué une force de proposition pour le gouvernement. Quelques temps après, ces derniers avaient été rejoint par pleines d’autres structures etc ... C'est assurément une source de fierté et de grande satisfaction de voir l’écosystème entrepreneurial congolais en train de se structurer et prendre conscience que la plus grande richesse dont recèle la RDC est le capital humain et particulièrement cette jeunesse susceptible de pouvoir mener les start-up congolaises vers les sommets » .


De son côté, Maeva Kpadonou, consultante au sein de la fondation i4Policy, fait remarquer que le "Startup Act" figure « parmi les seules lois du continent qui donnent l’occasion de faire asseoir autour de la même table une pluralité d'acteurs — membres du gouvernement, secteurs public et privé, société civiles, universités, communautés locales etc. — afin d’aborder les difficultés et défis qui se posent à l’écosystème entrepreneurial local, dans le cadre d’un dialogue ouvert, durable et pérenne entre les différentes parties prenantes. Et la RDC n’a pas été une exception ».



L’élaboration de cette ordonnance-loi, amorcée depuis un certain temps, a relevé, à l'évidence, d’un travail de longue haleine qui a fait donc intervenir un grand nombre de personnes et de groupes, requérant une implication coordonnée de tous les acteurs clés de l’entrepreneuriat, avec une durée plus longue que celle initialement prévue. « Dans le cadre d’une démarche de benchmarking réalisée dans plusieurs pays par rapport l’élaboration du Startup Act en RDC, nous sommes arrivés à proposer au moins 74 mesures, avec des thématiques axées sur l’accès au financement, la fiscalité, l’accès aux marchés publics et d’autres aspects non catégorisés » soutient Me Jean Pierre Okenda, juriste et analyste travaillant pour le compte du cabinet Kanaga Consulting .


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Le principal intérêt de la Startup Act en RDC réside donc dans l’octroi d’un label comportant des avantages non négligeables dont il vaut la peine de profiter au maximum pour la réussite de ses projets, tels que, par exemple « une exonération totale ou partielle d'impôts et taxes diverses » pour une période déterminée et, le cas échéant, reconductible, « des allègements fiscaux au profit au profit des micros, petites et moyennes entreprises et des startups » et « une amnistie fiscale, pendant une année suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance-loi, au profit des micros, petites et moyennes entreprises et des startups du secteur informel ayant pris l’engagement irrévocable de migrer du secteur informel vers le formel », selon les dispositions de l’article 50 mentionnées dans cette ordonnance-loi.


En second lieu, est mise en avant une facilité accrue d'accès aux sources de financement. Pour Linda Kenne, expert-comptable et opérant également pour le compte du cabinet Kanaga Consulting, il s’agira au préalable de « faire un état des lieux de l’ensemble des financements innovants actuellement disponibles en RDC et développer un partenariat entre l’État et les institutions bancaires, afin déterminer les modalités pratiques pour l’octroi d’avantages dévolus aux micros, petites et moyennes entreprises et aux startups nouvellement formalisées ». Les règles de coopération entre les organismes publics et les fonds d’investissement devront ainsi être encouragées, voire sensiblement renforcées.


 
 

Mais le point d'orgue de ce dispositif juridique est la facilitation d'accès des start-up et des petites et moyennes entreprises aux commandes publiques. À ce titre, Me Anatole Kanyanga, avocat et conseiller juridique au sein du ministère de l’Entrepreneuriat, des Petites et Moyennes et Moyennes Entreprises en RDC, insiste sur le fait que « les pouvoirs publics devront prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir et faciliter l’accès des start-up aux marchés publics [ ... ]. Aujourd’hui, à la faveur de cette ordonnance-loi, ces start-up ont droit 40% de chacun de ces marchés publics au minimum ».


Parmi les critères retenus pour cette labellisation qui déclencherait tous les avantages accordés aux entreprises, Lionel Kabeya, juriste et consultant en matière de micro, petites & moyennes entreprises, cite pêle-mêle : « la durée d'existence de la société (fixée à moins de 7 ans), les résultats en termes de chiffre d'affaires, l’exigence d’un capital social détenu aux deux tiers par des nationaux, ainsi que le degré d’innovation [ ... ] ». À ce titre, les incubateurs, accélérateurs, pépinières d’entreprises, fablabs et autres hubs d’innovation qui émaillent tout le territoire congolais joueront certainement un rôle primordial dans la maturation des projets, avec la lourde tâche de veiller à l'existence d’un MVP [ Minimum Viable Product, en français : produit minimum viable, NDLR ], appliquer un programme tourné vers le renforcement de la qualité de l’équipe managériale et faire confronter les projets à la réalité du marché.


L’octroi de toutes ces avantages découlant de la Startup Act amène à exiger, à juste titre des contreparties. « Les start-up bénéficiaires de ce dispositif devront témoigner un engagement envers la redevabilité ; elles auront des comptes à rendre. Lorsque l’État offre des moyens de soutien aux entreprises et consent des efforts financiers via des exonérations ou des réductions de taxes, il est normal qu’il attende en retour à ce que ces dernières recrutent, contribuent à faire émerger une nouvelle classe moyenne et participent activement à la réduction du chômage » prévient Laurent Muzemba, directeur général de FOGEC (Fonds de Garantie de l'Entrepreneuriat au Congo).


Une ordonnance-loi qui répond à des besoins spécifiques exprimés par les entrepreneurs


La genèse du "Startup Act RDC" se trouve dans l’existence d’un grand nombre de freins au développement d'une certaine catégorie d'entreprises, notamment les jeunes pousses qui pourraient représenter, si elles étaient libérées de certaines contraintes, une grande force économique congolaise.


« Le processus d’élaboration du Startup Act a débuté il y a près de deux ans, avec l’organisation d’un "policy hackathon" qui a réuni plusieurs acteurs de l’écosystème, parmi lesquels des entrepreneurs, des startuppers, des représentants d’incubateurs d’entreprises (dont quatre basés à Kinshasa et un autre se situant à Lubumbashi). L’idée de départ était de concevoir des solutions aux problèmes liés à la mise en œuvre d’un entrepreneuriat innovant ; des mesures correctives qui devaient faire l’objet, plus tard, d’une législation spécifique capable de surmonter ces obstacles. Par la suite, un groupe de juristes, dont je fais partie, s'est saisi des propositions qui ont été développées, afin de les transposer dans un langage adapté aux besoins du travail d’élaboration des futurs textes de loi. Quelques mois plus tard, un nouvel atelier s’était déroulé en ligne, impliquant entre autres des responsables de banques, des membres du gouvernement et des acteurs issus d’autres écosystèmes africains. Au final, c’est un atelier de consolidation qui a été organisé sous la houlette du ministère congolais de l’Entrepreneuriat et des PME [ ... ] » explique Junior Luyindula, co-fondateur de la start-up "Avocats.cd".



À l’instar de ce que l’on peut observer dans les autres pays à travers le monde, se pose systématiquement la question de la rentabilité escomptée des capitaux propres d’une entreprise, une partie des bénéfices attendus devant être réinvestis dans d’autres projets de développement susceptibles d’assurer la pérennité financière de la société. En ce qui concerne le cas particulier de la République Démocratique du Congo, l’imposition des entreprises au cours des premières années — en l’occurrence un taux plein de l’impôt sur les bénéfices & profits égal à 30% — peut effectivement entraver l’atteinte de ces objectifs.


 
 

Ajouté à cela, la pléthore de taxes diverses qui contrecarrent également les ambitions affrichées. « [ ... ] La plupart de ces taxes sont inconnues du grand public. Les entrepreneurs, mal informés, découvrent leur existence seulement au moment du démarrage de leur activité, déplore Ursula Ndombele, CEO de la start-up Hoja Taxis. Notre espoir, dans le cadre du Startup Act, est de voir les institutions entamer des mesures de simplification administrative, notamment en matière de taxes ».


Il va sans dire que cela est en partie à l’origine du très faible taux de survie de beaucoup de startups congolaises, ces dernières dépourvues de bases solides ne parvenant pas à séduire les investisseurs. Les exonérations et allègements fiscaux prévus dans les dispositions du Startup Act devront en principe constituer une véritable une bouffée d’oxygène aux entreprises locales nouvellement créées.


Décidées à se battre sur ce front, les autorités ont voulu répondre de manière pro-active au cahier de doléances des acteurs de l’écosystème entrepreneurial, à propos de la problématique du financement des sociétés. En effet, la deuxième inquiétude vient du fait que les dirigeants se plaignent souvent de la réticence des banques à injecter de l'argent frais dans leur projet de croissance ou du temps trop long pour obtenir un crédit, ce qui peut entraîner la mort de leur start-up ou PME.


Dans le même ordre d'idée, la RD Congo a pris un retard inquiétant dans le domaine du capital-investissement : il est difficile de nier qu'en comparaison des écosystèmes nigérian, sud-africain, égyptien ou kényan, le développement des start-up congolaises demeure marginale, ce qui empêche toute possibilité de lutter à armes égales avec leurs concurrentes à l’échelle africaine. Preuve en est, les pépites technologiques issues de la RDC ne figurent même pas dans le Top 20 des levées de fonds effectuées en 2021 en Afrique, ces vingt premières places étant trustées par leurs homologues nigérians (1,8 milliard USD), sud-africains (832 millions USD), égyptiens ( 650 millions USD), kenyans (571 millions US), ghanéens (24 millions USD), marocains (17 millions USD), sénégalais (16 millions USD), ougandais (14 millions USD), ivoiriens (13 millions USD), tunisiens (12 millions USD), rwandais (10 millions USD), camerounais (6 millions USD), éthiopiens (5 millions USD), algériens (2 millions USD), tanzaniens (2 millions USD), togolais (2 millions USD), angolais (1 million USD), béninois (1 million USD), botswanais (1 million USD) et burkinabè (1 million USD), selon les données du rapport établi par le fonds d'investissement Partech Africa. II y a donc des dysfonctionnements structurels spécifiques au pays, se traduisant par des maillons manquants dans la chaîne de valeur du financement, allant du capital-risque jusqu’au capital-transmission, en passant par le capital-développement.


 
 

Le troisième coup de froid a porté sur le problème d’accès des startups aux marchés publics, qui relève davantage de la rigidité et le poids de la bureaucratie, ce qui n’a pas permis à ces jeunes pousses de bénéficier pleinement d’une meilleure lisibilité des informations inhérentes à la commande publique.


Bonny Maya, directeur général de et coordinateur du Salon E-commerce & FinTech, fournit, quant à lui, une interprétation supplémentaire concernant les difficultés liées à la commande publique : « Les marchés publics étaient réservés aux entreprises déjà établies et non aux start-up qui n’étaient pas suffisamment dotées de fonds de roulement, ou à défaut de comptes bancaires bien garnis [ ... ] ».


Plus globalement, à travers le Startup Act, il y a une volonté manifeste de faire de la pédagogie auprès des patrons de start-up, dans le processus menant vers la conclusion de contrats avec les autorités concédantes ayant une mission de service public.


Une ordonnance-loi, amenée à évoluer au fil du temps


Lors des premières concertations entre les acteurs de l’écosystème entrepreneurial congolais, les éléments de discussion portaient exclusivement sur l’éclosion des startups technologiques. Au final, avec l’implication du ministère congolais de l’entrepreneuriat et des PME, l’action gouvernementale s’est placée dans l'optique du développement des catégories de sociétés, toutes tailles et tous secteurs confondus, allant des micro-entreprises jusqu’aux PME, en passant par les start-up innovantes.


« Le simple fait d’envisager d’établir une loi consacrée exclusivement aux start-up n’a pas de sens. Dans le cadre du développement de l'entrepreneuriat en RDC, il est important d’intégrer tous les secteurs d’activité, que ce soit dans la technologie ou d’autres domaines » argumente le directeur général du FOGEC, Laurent Muzemba.


Ursula Ndombele, CEO de la start-up Hoja Taxis, abonde également dans ce sens, se réjouissant du fait que « que ce Startup Act ait été adapté à la réalité de la République Démocratique du Congo. D’ailleurs, le titre de "start-up" est peut-être un peu trop avant-gardiste pour ce marché [ ... ]. Il a été particulièrement judicieux d’avoir intégré aussi bien les TPE que les PME dans cette dynamique de la Startup Act. Sans elles, on s'écarterait probablement d’une majeure partie de la population [ ... ] ».


Pour sa part, Junior Luyindula, co-fondateur de la start-up "Avocats.cd " pointe du doigt le manque de clarté de certains passages dans les textes de l’ordonnance-loi : « On n’y fait aucunement la différence entre une start-up et une start-up labellisée, ce qui pourrait prêter à confusion, au cas où les candidats retenus se verraient octroyer les avantages offerts par le "Startup Act" ».



Par ailleurs, tout observateur avisé des écosystèmes entrepreneuriaux et d’innovation de classe mondiale fera indéniablement un constat sans appel : Parmi les instruments essentiels qui concourent au succès des jeunes pousses innovantes à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis, figurent les allègements fiscaux appliquées aux plus-values pour des particuliers qui effectuent des investissements extrêmement risqués dans des pépites prometteuses. Le "RDC Startup Act" a donc tout intérêt à s’en inspirer grandement. Historiquement, l’activité de business angel est très peu développé en République Démocratique du Congo, même si quelques initiatives ont récemment vu le jour, à l’instar de DCR Impact Angels ou Congo Business Angels. C'est pourtant là que devraient aussi se porter aujourd'hui les espoirs de ceux qui veulent diffuser une vraie culture de "l’angel investing" dans le pays et encourager la prise de risque chez les investisseurs individuels. Il s’agirait alors de dynamiser l’épargne de proximité en prévoyant des déductions fiscales importantes pour les personnes fortunées qui investissent dans des startups technologiques. Plus concrètement, lors de la cession de titres de participation dans une pépite innovante, les plus-values réalisées par exemple après trois ou cinq ans de détention seraient exonérées de l'impôt à hauteur de 50% ou 100% dans la limite d'un certain montant. A contrario, les pertes constatés au titre de ces investissements seraient déduites de l'impôt sur le revenu. Parallèlement, toujours en s'inspirant de ce qui est pratiqué à l'international, on pourrait également instaurer un "compte-épargne investisseur", un dispositif destiné à tout investisseur individuel qui réinjecterait dans une autre start-up technologique ses plus-values résultant de la vente de titres de participation détenus antérieurement .


 
 

Aujourd'hui, en ce qui concerne le degré de maturité de l'écosystème local, la RDC des entrepreneurs est en train de bouger ; l'état d'esprit est également en train de changer ... En fait, tous s’accordent à dire que c’est l’administration publique qui doit changer de logiciel. À cet égard, François Ngenyi, coordonnateur de l’incubateur IngeniousCity, relativise et se montre plutôt philosophe : « Nous pouvons saluer les avancées réelles réalisées dans le cadre de l’élaboration du Startup Act. J’encourage d’ailleurs les acteurs de l’écosystème entrepreneurial à s’approprier cette loi, car c’est bien cet écosystème qui sera en mesure de faire bouger les lignes, et non inversement les pouvoirs publics. L’idéal est que cet écosystème soit dans une dynamique d’action, propose des mesures d’encadrement [ ... ] . Contentons-nous déjà de ce qui a été accompli et avançons avec optimisme » conclut-il .


 

Par Harley McKenson-Kenguéléwa

 

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