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La mode africaine, en quête d’authenticité et de notoriété

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


Lors du webinaire intitulé " L’Afrique, nouvelle inspiration de la mode mondiale ", un certain nombre de participants, parmi lesquels Imane Ayissi (styliste camerounais), Valérie Ka (co-fondatrice de Share Africa), Youssouf Fofana (co-fondateur de la marque "Maison Château Rouge"), Vanessa Moungar (Banque Africaine de Développement, Conseil Présidentiel pour l'Afrique ) et Moulaye Taboure (co-fondateur d'Afrikrea), ont mis à l’honneur la création textile africaine. Une occasion pour évoquer également les enjeux et les besoins les plus marquants recensés au niveau de la valorisation de la créativité artisanale et du développement d’une véritable industrie de l’habillement sur le continent.

Pour notre part, le webzine CEO Afrique, qui a visionné cette e-conférence, en a profité pour faire partager la fascination et l'engouement que suscite cet aspect du lifestyle africain.




Alors que les consommateurs africains ont porté leur regard vers l'Europe pendant des années pour tout ce qui touche à la mode, une nouvelle génération de créateurs originaires du continent est en train d’émerger sur la scène mondiale et se forgeant un nom et apportant ainsi avec elle sa propre sensibilité. Mais comment peut-on définir cette mode africaine ? La question a parcouru avec clarté le webinaire organisé le 2 Février 2021 par la plateforme Share Africa, sous le thème " L’Afrique, nouvelle inspiration de la mode mondiale ", chaque intervenant fournissant sa propre réponse ou proposant des pistes de réflexion.

Une caractéristique bien visible des vêtements africains est la vivacité, voire l’excentricité des couleurs, avec parfois une dominante de teintures noire, blanche, orange, bleu turquoise, bazin-jaune, ocre-rouge ou indigo. Mais la mode africaine se distingue aussi par sa grande diversité, chaque pièce de vêtement reflétant l’identité culturelle d’un pays.


« Il n’y a pas une, mais "des" modes [ ... ]. l’Afrique n’est pas un pays ; c’est un continent composé de plusieurs États, avec diverses modes et cultures » tient à rappeler le mannequin, danseur et styliste camerounais Imane Ayissi, premier créateur d’Afrique subsaharienne invité à défiler dans le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM), une structure rassemblant des acteurs de l'art de l'habillement et privilégiant la création et le développement international.


Le wax, emblème de la mode africaine ?


« [ ...] Il fut un temps où l’inspiration africaine sur les podiums, se résumait aux motifs "panthère et léopard" » déplore la journaliste et modératrice de ce webinaire, Aida Touhiri


Mais force est de constater également que le code vestimentaire africain se réduit malheureusement au wax dans l’imaginaire collectif.


« Le wax n’est pas du tout originaire du continent africain. Ce tissu prend sa source en Indonésie, notamment avec les batiks javanais, et arrive par la suite en Hollande » explique Youssouf Fofana, co-fondateur de la marque Maison Château Rouge, dont les locaux sont situés dans le quartier du même nom, au sein du 18ᵉ arrondissement de Paris.


En effet, au cours du XIXème siècle, lors de leur tentative de prise de contrôle de quelques îles se trouvant en Asie du Sud-Est, les forces coloniales hollandaises se font épauler par des mercenaires recrutés sur les côtes d’Afrique de l’Ouest — dont le territoire de l'actuel Ghana — qui s’empressent de rapporter chez eux le tissu wax, dont les techniques d’impression sous cire s’inspirent des batiks javanais. Flairant le bon filon et tenant compte du pouvoir d'attraction de cette matière, les Hollandais misent sur la construction d’usines en vue d’une production maximale. À cet instant même, la mode vestimentaire africaine va vivre une mutation sans précédent; c’est dans la découverte du wax que les créateurs vont puiser leur inspiration pour offrir aux habitants du continent des modèles en conformité avec leur identité culturelle.

Aujourd’hui, à l’instar d’Imane Ayissi, un bon de nombre de concepteurs de mode privilégient les étoffes issues d’Afrique — le Kente, le Ndop, les toiles de Korhogo, le Rabal, le Bogolan — et allient les savoir-faire locaux aux styles vestimentaires les plus tendances du moment.


« [ ... ] Les tissus sont achetés en Côte d'Ivoire; nous travaillons avec des artisans basés au Mali pour ce qui est de la teinture; une partie de la confection est réalisée dans un atelier à Dakar au Sénégal [ ... ]. Le fait que nous soyons implantés dans le quartier de Château Rouge nous permet d’accéder au très grand marché de consommateurs membres de la diaspora africaine » se réjouit Youssouf Fofana.


Vanessa Moungar, directrice du département "Genre, Femme & Société Civile" à la Banque Africaine de Développement (BAD) et membre du Conseil Présidentielle pour l’Afrique, abonde dans ce sens, estimant que « le business, c’est l’authenticité de la proposition de valeur. Le "made in Africa ", c’est l’identité africaine. Nous avons beaucoup de culture, de tradition ... En nous appuyant sur cela, nous pouvons avoir une proposition de valeur supplémentaire ».


Vers une digitalisation du secteur de la mode, du luxe et de l’artisanat


Tout comme les autres domaines, la mode doit efficacement répondre aux évolutions sociétales. Dans un monde hyperconnecté 4.0 et d’un style de vie inspiré de l’Internet ou du Big Data, émergent de plus en plus de plateformes en ligne offrant aux créateurs africains la possibilité de faire connaître à grande échelle des collections de vêtements ou des œuvres artistiques conçues sur le continent. Le Franco-Malien Moulaye Tabouré a su saisir de cette occasion pour contribuer grandement à la visibilité de ces activités en fondant en 2016 Afrikrea, un site dédié à la mode et l’artisanat en Afrique.


« Pendant l'épidémie de COVID-19, un jeune étudiant de 18 ans, dont la mère gére un petit atelier de couture à Abidjan, a pu, en s’inscrivant et se connectant sur Afrikrea, vendre près de 10 000 masques dans une trentaine de pays et a également été en mesure les expédier à moindre coût depuis Abidjan, grâce à l’accord que nous avons conclu avec le transporteur de colis DHL [ ... ] » relate l’entrepreneur trentenaire.



Cette stratégie payante lui vaut une marque de reconnaissance émanant du magazine Forbes Afrique qui le fait figurer dans le classement " Top 30 under 30 "africain francophone en 2018. Fort aujourd’hui de son partenariat avec plus de 7000 vendeurs, le site Afrikrea, domicilié en Côte d’Ivoire, peut s'enorgueillir d'avoir enregistré, depuis son lancement, près de 10 millions d'euros de transactions à travers 145 pays !


 
 

L’industrie de la mode, véritable enjeu de développement


L'essor des designers de mode africains est toutefois à relativiser, le secteur du textile et de l’habillement pesant très peu dans les échanges internationaux.


« Le marché de la mode en Afrique subsaharienne - textile et habillement - ne représente que 31 milliards de dollars, alors que le marché global s’élève à 2,5 trillions de dollars [ ... ]. Malheureusement, la majorité des acteurs de ce secteur sur le continent opèrent encore dans l’informel » rapporte Vanessa Moungar.


Ce constat montre que les mauvaises performances de ce secteur impliquent des enjeux sociaux et économiques colossales pour cette région du monde. En premier lieu, la cadre dirigeante de la BAD préconise que tous les acteurs participant à la chaîne de valeurs du textile et de l’habillement prennent clairement des positions cohérentes sur les sujets environnementaux.


« [ ... ] Beaucoup de jeunes entreprises locales sont éco-responsables; elles utilisent les ingrédients se trouvant sur place et créent des business durables, qui ont un impact positif, créant de la valeur et de l’emploi sur le continent. En tant qu’ acheteurs et consommateurs, nous devons porter notre réflexion sur ces questions afin de soutenir les marques locales » poursuit Vanessa Moungar.


Il s’agit donc faire évoluer les pratiques du l’industrie textile dans tous les maillons de la chaîne de fabrication et de commercialisation, sous l’angle du développement durable et de l’éthique, et d’éviter de calquer sur les modèles adoptés hors d’Afrique, où l’on observe une frénésie de la surproduction.


En deuxième lieu, il s’agit de permettre aux jeunes stylistes et aux industries extractives d’avoir accès ou d’élargir leur accès aux capitaux internationaux, en étroite collaboration avec des institutions financières.


« [ .... ] La Banque Africaine de Développement (BAD) a lancé Fashionomics Africa , ayant pour objectif d’accroître la participation de l’Afrique à la chaîne de valeur de l’industrie mondiale du textile et de la mode et soutenir le développement des micro-entreprises et des PME qui opèrent dans ce secteur, avec une attention particulière portée aux jeunes et femmes » corrobore t-elle.


 
 

Pour sa part, Valérie Ka, co-fondatrice de la plateforme d’échanges et de réflexion Share Africa, met plutôt l’accent sur la nécessité d’offrir régulièrement des espaces de grande visibilité, en émettant le souhait par exemple de « faire défiler plusieurs créateurs africains à la "Maison de la Radio" à Paris » ou « travailler en étroite collaboration avec l’Institut Français de la Mode » pour ce qui est de la formation continue et de l’apprentissage du métier.

 


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Par Harley McKenson-Kenguéléwa



 

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