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L’image de la France auprès des leaders d’opinion africains poursuit son effondrement

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


Selon le dernier baromètre Africaleads, la réputation de la France parmi bon nombre de pays africains clés s’est encore détériorée au cours de l’année passée. La part du public ayant une opinion favorable de l’Hexagone est la plus faible depuis que l’institut IMMAR a commencé à effectuer des sondages sur ce sujet il y a trois ans. Alors que la perception de la Chine est également en baisse, un petit nombre d’autres pays occidentaux sont plébiscités et l’on assiste à une montée en puissance de la Turquie.




Dans cette troisième édition du Baromètre Africaleads — leaders d’opinion d’Afrique — , réalisée entre Novembre 2020 et début Janvier 2021 par l’institut IMMAR Research & Consultancy dans 12 pays (dont 4 anglophones), l’image de la France est à son plus bas historique, soit 17 % (contre 20% dans l’édition 2019 et 21 % concernant celle de 2020).


« Nous avons interrogé 2426 personnalités africaines, soit environ 200 personnes par pays [ ... ]. Nous avons décrypté la perception des leaders africains sur la situation présente et future de l’Afrique » précise Mohammed El Kalchi, directeur des études IMMAR.


En scrutant les résultats de plus près, la France obtient ses meilleurs scores en Afrique de l’Est, une région où sa politique étrangère repose sur une diplomatie économique très volontariste, notamment au Kenya. À contrario, elle ne figure même pas dans le Top 5 des pays non-africains ayant la meilleure image en Afrique du Nord et dans les pays d’Afrique de l’Ouest.


Crédit photo : ©IMMAR R&C / CIAN



Concernant l’impact bénéfique des pays étrangers en Afrique, les résultats sont également décevants pour la France qui n’arrive qu’en neuvième position (57 %). Une majorité des leaders d’opinion interrogés ont plutôt placé la Chine en tête du classement (76%), talonnée par les Etats-Unis (74%). L’Allemagne jouit depuis toujours de son statut de partenaire crédible (71 %), suivie de près par le Japon (70%), la Turquie (66%), un pays émergent qui a boosté ses échanges économiques avec le continent, et les Émirats Arabes Unis (60%).


Il convient toutefois de souligner que, dans la plupart des États africains, le capital de sympathie à l’égard de la France n’a pas été entièrement entamé, en matière d’influence des marques. Comme le montre le graphique suivant, une proportion appréciable du public dans quelques sous-régions, notamment en Afrique Centrale, de l'Ouest et du Nord, tient en haute estime les fleurons de l'économie tricolore.


Crédit photo : ©IMMAR R&C / CIAN



L’ expertise et le savoir-faire français, dûment reconnus, font partie des domaines de force de l’Hexagone.


 
 

Le lent déclin du soft power français sur le continent africain


La question coloniale a toujours été au cœur du débat idéologique et de la narration dans les pays d’Afrique francophone et le système de la " Françafrique ", pendant la période "foccardienne", avait déjà donné un coup dur à l’image de l’Hexagone sur le continent. Beaucoup plus tard, les années d’interventions militaires menées au Sahel et au Sahara par l’armée française, à travers l'opération Barkhane, ont sans doute alimenté davantage l’image d'une nation néocolonialiste, inepte et belliqueuse, aux yeux des opinions africaines.


« L’action de la France, en terme d’impact, est déployée à 360°. Elle se décline en action politique, diplomatique, militaire et économique [ ... ]. Plus l’impact est important, plus on intervient, plus on prête le flanc à la critique » euphémise Etienne Giros.


Ce baromètre Africaleads, plutôt défavorable à la France, doit aussi se lire dans le contexte d’intégration monétaire où le projet de monnaie unique des quinze pays de la CEDEAO, baptisé " ECO ", est interprété par une bonne partie des opinions publiques du continent comme une forme déguisée du Franc CFA , un symbole des vestiges du colonialisme tant décrié.

Dans tous les pays sondés, et particulièrement dans ceux de la sphère francophone, le public a presque tourné la page sur le leadership économique de la France, adoptant ainsi une stratégie de diversification des partenaires commerciaux, incluant des puissances émergentes comme la Turquie ou l’Inde. De surcroît, le fait que la Chine ambitionne de s'emparer du leadership mondial aux côtés des États-Unis a relégué la France au rang de "puissance moyenne" à laquelle il faudrait accorder moins d'importance, une thèse susceptible de germer dans l’esprit des leaders d’opinion africains.

Mais cette enquête amène toutefois à soulever un problème beaucoup plus complexe. On assiste de plus en plus à une percée des idées populistes dans l’hexagone et le processus de délivrance des visas s'est considérablement durci sur les dernières années. En outre, l’expulsion des ressortissants des États d'Afrique en situation irrégulière, dont les faits sont souvent rapportés dans les médias, ont des effets dévastateurs sur l'image de la France, comparable à celle d’une mauvaise publicité.


« Il y a lieu de noter que la majeure partie des leaders d’opinion africains s’informent dans les médias français » rappelle Etienne Giros.


Une hégémonie chinoise qui suscite tour à tour une admiration et une détestation


La façon dont les opinions publiques africaines voient la Chine est intéressante à analyser. D’une part, il y a la toute puissance chinoise, faisant quasiment jeu égal avec les États-Unis ou la Russie, assortie d’une diplomatie "agressive" sur la scène internationale, au point de bouleverser profondément l'équilibre géopolitique mondial. D’autre part, des investissements massifs et les flux continus de capitaux chinois déversés sur le continent, ayant eu le mérite de susciter un regain d'intérêt de l’ensemble des investisseurs étrangers, mais qui, en contrepartie, ont fait basculer un bon nombre de pays africains dans la spirale de l'endettement extérieur et ont engendré des manifestations de mécontentement des populations locales, dénonçant fréquemment des agissements qualifiés à tort ou à raison comme de la concurrence déloyale. Ces polémiques ont grandement brouillé l’image de l’Empire du Milieu. Mais paradoxalement, force est de constater que la Chine parvient à écouler aisément ses produits manufacturés bon marché en Afrique, appréciés des consommateurs sur place.


« La Chine est toujours bien classée dans le baromètre Africaleads , mais a baissé de 17% par rapport à l’année passée [ ... ]» rapporte Etienne Giros.


 
 

Les pays anglo-saxons, l’Allemagne et le Japon, grands gagnants de cette édition


Malgré le sentiment d’une omniprésence de la Chine sur la scène mondiale — et son élévation au statut de grande puissance technologique avec une forte dominante sur l’intelligence artificielle et la norme 5G — , on peut considérer que les leaders d’opinion africains perçoivent son autre puissant voisin, le Japon, comme une "valeur sûre" ayant su garder intact sa grande capacité d’innovation, sa créativité, ainsi que la qualité de la Recherche & Développement, et conservant son avance technologique dans de très nombreux domaines. Pour sa part, le pays européen qu’est l’Allemagne est associé systématiquement à l'excellence industrielle, d'autant plus que l'image positive véhiculée par la très pragmatique chancelière Angela Merkel déteint fortement sur le sien. Concernant le Canada, ses bons scores peuvent s’expliquer par la diplomatie culturelle pro-active de l’une de ses régions, le Québec, qui a la langue française comme dénominateur commun avec près de vingt-cinq pays d’Afrique, un groupe constituant de gros viviers de candidats qui cherchent à poursuivre des études supérieures de haut niveau ou postuler à des offres d'emploi non pourvues dans la " Belle Province". De son côté, le Royaume-Uni — à travers sa capitale Londres qui demeure le deuxième plus grand centre financier du monde, après New York — continue à exercer un pouvoir d'attraction sur les grandes entreprises africaines, malgré le Brexit. En effet, la London Stock Exchange est considérée comme la deuxième plus importante place boursière pour le continent africain, derrière la Johannesburg Stock Exchange et regorge en son sein une centaine de sociétés africaines cotées, une véritable bouffée d'oxygène sur le plan financier .


 
 

Enfin, le rayonnement des États-Unis sur les plans économique, technologique, scientifique et culturel demeure très fort. Un bon nombre de jeunes africains caressent l'idée de tenter leur chance au pays de l'Oncle Sam pour voir se réaliser leur " American Dream " et les changements de locataire à la Maison Blanche n’altèrent en rien cette fascination.


À noter la forte progression enregistrée par la Turquie, soit 15 % des personnes interrogées dans le baromètre Africaleads 2021, contre 8% concernant l’édition de 2020. Fort d’une quarantaine d’ambassades en Afrique, ce pays transcontinental, situé aux confins de l'Asie et de l'Europe. marque de plus en plus son empreinte en terme de "soft power", un élément-clé de ses relations avec le continent. Elle s’offre en nation généreuse grâce au soutien de nombreuses associations, ONG et autres institutions turques qui ont opéré entre autres au Niger, au Sierra Leone, au Liberia, en Gambie, en Somalie ou en Guinée Bissau. Cette "puissance douce" se manifeste également à travers la taille de la flotte aérienne dont dispose la compagnie Turkish Airlines qui dessert une soixantaine de destinations africaines: Tunis, Dakar, Casablanca, Abidjan, Le Caire, Addis-Abeba, Johannesburg etc... Ajouté à cela, les séries turques qui connaissent un immense succès, particulièrement dans les pays du Maghreb, un moyen efficace pour diffuser son modèle et ses valeurs. Sans oublier que la Turquie, à la recherche de son prestige d’antan, affiche de fortes ambitions régionales et mondiales et pourrait servir de contrepoids, sous l’angle des échanges commerciaux avec le continent africain, face aux démocraties occidentales.



La Nation arc-en-ciel, toujours au top


Parmi les pays africains inclus dans l’enquête au sujet de la meilleure image et de la résilience de leur économie face à la pandémie de Covid 19, c’est l’Afrique du Sud qui obtient les meilleurs scores : une médiane de 40% des personnes interrogées ont également une opinion favorable. De même, les avis concernant le Maroc lui permettent de se maintenir à la deuxième place (23%) . Les scores du Rwanda et du Ghana, qui bénéficient d’une image de dynamisme économique et de bonne gouvernance, sont répartis à peu près également (23%).


« L’Afrique du Sud est très largement en tête, alors que tout le monde sait que ce pays rencontre un certain nombre de difficultés de nature économique, sanitaire et même politique. Malgré cela, son soft power, son histoire et sa puissance continuent à dominer dans ce classement » analyse Étienne Giros.


Partant de ce constat, nul ne peut s'empêcher de penser à la chute spectaculaire du PIB du pays, la détérioration des finances publiques, l’apparition d’une crise énergétique, la montée d'un chômage de masse durable et inégalitaire, les scandales de corruption à répétition et une xénophobie grandissante à l’égard des autres ressortissants africains non-originaires d’Afrique du Sud.


Sur une note positive, Étienne Giros tire des enseignements de ce baromètre Africaleads 2021, en vue de repenser la relation de coopération avec l'Afrique :


« Du point de vue français, le défi à traiter consistera à stopper la lente érosion de notre image aux yeux des opinions africaines. Selon la position de nos entreprises, ce que nous faisons sur le continent africain ne manque pas d’atouts. Je pense qu’il faudrait l’expliquer davantage et en construire un récit. C’est une défi qui va falloir mener ensemble ».


 

Par Harley McKenson-Kenguéléwa


 


 

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