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Relation France-Chine : Quelle stratégie de partenariat, profitant au développement de l’Afrique ?

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


Bien que l’on puisse être tenté de croire que la montée en puissance de la Chine et son désir — avéré ou non — de peser dans les affaires économiques de l’Afrique soient un présage de nouvelles tensions avec le partenaire historique qu’est la France, le fait que ces deux puissances envisagent de nouer une alliance tripartite, incluant le continent africain , constituerait indéniablement des opportunités d’échanges, de développement et de croissance au bénéfice de tous.

C’est dans cette perspective que s’est tenu un webinaire sous le thème " Un partenariat Chine/France pour l'Afrique ? ", modéré par Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre français et président de la Fondation Prospective et Innovation, auquel ont participé Lionel Zinsou (ancien Premier ministre du Bénin et fondateur de la société panafricaine de conseil financiers & d'investissements SouthBridge Group), Sun Jiwen (ancien ambassadeur de Chine au Gabon) et Étienne Giros (Président Délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique).

Pour mieux comprendre cet axe Paris-Pékin, le webzine CEO Afrique, qui a visionné cette e-conférence, a analysé les forces qui pourraient favoriser leur rapprochement et a évalué les perspectives de développement des relations commerciales franco-chinoises sur le continent africain.



« Ce n’est l’intérêt de personnes d’abandonner l’Afrique, sans lui donner les moyens et les perspectives qu’elle peut attendre pour son propre développement [ ... ]. Que ce soit sur le plan économique et social ou celui de la sécurité et sur l’ensemble des grands sujets du moment, on voit bien qu’une grande partie des enjeux se jouent aujourd’hui sur le continent africain ».


C’est par ces mots que Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français et président de la Fondation Prospective et Innovation, a entamé son discours inaugural lors du webinaire intitulé " Un partenariat Chine/France pour l'Afrique ? " qui s’est déroulé le 13 janvier 2021. Malgré des agendas et des orientations stratégiques différents, voire divergents, la Chine, la France et l'Afrique partagent néanmoins un intérêt commun : la volonté de contribuer au développement économique du continent africain, une approche qui pourrait faire émerger une nouvelle dynamique dans leur coopération.

Alors que l’influence économique française en Afrique, et particulièrement dans les pays francophones, est en perte de vitesse, l’Empire du Milieu adopte quant à lui une toute autre stratégie, réussissant à s’établir rapidement dans la région en dépit de la faiblesse de ses liens historiques avec celle-ci. Toutefois, les deux pays ont tout à gagner à mettre à profit leur complémentarité.

À l'origine, chacun des acteurs agit selon ses objectifs nationaux, en fonction de leurs propres intérêts économiques. La volonté de rapprochement de la Chine et avec l’Afrique est perceptible dans les années 2000, notamment par l’augmentation significative des investissements dans les infrastructures de transport. En effet, diversifier ses sources d’approvisionnement était devenu est un impératif, étant donné que la demande d'énergie s'accroissait à mesure que la prospérité s'étendait progressivement dans le pays et que la consommation augmentait. De ce fait, ce géant asiatique a inséré l’Afrique, un continent riche en ressources naturelles, dans un titanesque programme d’intégration économique en mettant sur pied la " Nouvelle Route de la Soie ", un réseau d’infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres — construit à partir du bassin méditerranéen — qui la relie au reste du monde, en vue d’assurer une meilleure circulation des biens de consommation.


L’intérêt chinois pour l’Afrique n'est pas quelque chose de récent; ce qui attire depuis peu une attention considérable, c’est la portée des opportunités de croissance externe que la Chine offre à ses entreprises dans cette région du monde qu’elle considère comme vitale. Cette initiative a suscité une certaine inquiétude dans les milieux d’affaires français installés sur le continent, qui ne l’ont pas perçu comme un atout à exploiter, mais davantage comme une menace potentielle grave, pesant directement ou lourdement sur les intérêts hexagonales en Afrique. En effet, l’Élysée ne peut pas ignorer que, depuis plusieurs années, la Chine est devenue le partenaire privilégié d’un bon nombre de pays africains en écoulant sur leur marché des biens de consommation ou des produits industriels à des prix défiant toute concurrence et s’engageant dans d’ambitieux projets d’infrastructures. Grande pourvoyeuse de fonds, elle a participé, par exemple, aux projets de construction du siège de l'Union africaine (UA), à Addis-Abeba, de la route nationale 1 (RN1) reliant Brazzaville à Pointe-Noire au Congo, du "Barrage de la Renaissance" en Éthiopie, des lignes ferroviaires Abuja-Kaduna au Nigeria, Nairobi-Mombasa au Kenya, ou bien Addis-Abeba-Djibouti etc ...


« La Chine s’est beaucoup engagée, ces dernières années, dans le développement des infrastructures en Afrique. On y a construit des routes, des chemins de fer etc... Cela est très important pour le développement d’une économie » souligne Sun Jiwen, ancien ambassadeur chinois au Gabon.



Les investissements directs chinois sur le continent ont grimpé à 5,4 milliards de dollars en 2018, contre 145 millions en 2005. La croissance spectaculaire de ces flux s’est faite aux dépens de de la France, qui ne dispose pas d’une confortable force de frappe financière indispensable pour contrecarrer ou neutraliser efficacement l’augmentation exponentielle de la présence chinoise en Afrique, un phénomène qui pourrait s’accélérer avec la mise en œuvre de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECA), sanctuarisant ainsi cette superpuissance économique asiatique.


 
 

Les ambitions de l’Empire du Milieu ont contribué largement à l’instauration d’un climat de méfiance. Bon nombre de PME françaises voient d’un mauvais œil le développement d’éventuels partenariats économiques avec leurs homologues chinois et craignent dans ce contexte une perte de parts de marché dans cette partie du monde. Mais Étienne Giros, président délégué du Conseil des Investisseurs en Afrique (CIAN), estime que les propositions de collaboration doivent être acceptées par pragmatisme au lieu de jeter la suspicion sur les volontés affichées :


« Ces critiques créent parfois une certaine crainte du côté des entreprises européennes et particulièrement françaises, au regard de la présence des Chinois. J’ai la conviction profonde que l’avenir repose sur un partenariat entre elles, qui doit s’exprimer sur le continent africain [ ... ]. Les chefs d’entreprise, que j’ai eu l’occasion de rencontrer, ne partagent pas cette conviction et estiment que les Chinois sont nos concurrents, portent une vision stratégique très forte notamment en Afrique, feront perdre nos positions et qu’il ne faille pas pactiser avec ces adversaires. Je pense que cette analyse est erronée » . À ce titre, Étienne Giros cite en exemple les années de collaboration réussie entre, d’une part, le géant chinois du commerce en ligne Alibaba et le groupe de transport & logistique français Bolloré et, d’autre part, l’opérateur Orange qui utilise la technologie Huawei comme fournisseur de hardware dans le domaine des télécommunications en Afrique.


Aux origines du rapprochement


Le principal facteur qui a contribué au rapprochement entre les deux États est une représentation commune de l’Afrique, celle d’un continent perçu comme un véritable partenaire inséré au sein d’un "trilatéralisme", au service du développement de relations économiques mutuellement bénéfiques. La coopération sino-française semble bien s’organiser et le pragmatisme a poussé les deux pays à développer leurs relations, comme le traduit un projet de "partenariats franco-chinois en marchés tiers" en Juillet 2015 qui devait procéder à un changement de paradigme en matière de cofinancement, de cotraitance et coproduction .


« Mais le sommet Chine-France-Afrique , qui aurait dû se tenir en 2016 à Dakar n’a jamais eu lieu », déplore Étienne Giros, faisant sans doute allusion au fait que cet événement aurait dû marquer le début des tentatives de coordination entre les trois entités.


De même, le véhicule d’investissement franco-chinois à destination de l’Afrique et l’Asie (hors Chine) — doté de 300 000 millions d’euros de budget — , créé en 2016 par CDC International Capital (filiale de la Caisse des Dépôts) et China Investment Corp, ont peiné à financer un maximum de projets structurants sur le continent.


Toutefois, la tendance est toujours à un rapprochement entre la Chine et la France, malgré le fait que les motifs de coopération soient tout autant des sources de proximité que de divisions. Ainsi, la question de la dette africaine pourrait faire figure de test pour ces pays.


« [ ... ] Prenez l’accord de moratoire relatif à la suspension des remboursements de la dette africain qui a été approuvée par le G20. Cela a été négocié entre Africains et Européens, sous la présidence saoudienne, approuvée par le G20 et la Chine, bien que cette dernière n'en soit pas membre, mais simplement observateur du Club de Paris [ ... ]. Ce moratoire est maintenant prolongé jusqu’à fin Juin 2021, ce qui a créé toute de suite un espace budgétaire de l’ordre d’une quarantaine de milliards [ ... ]. Il s’agit déjà d’une forme de triangulation : Si la Chine n’avait pas donné son accord, l’Europe à elle seule n’aurait pas pu faire bouger les lignes », s’est félicité l’ancien premier ministre Lionel Zinsou


Vers une convergence géoéconomique


Soucieuse du maintien de sa relation historique avec l’Afrique, et particulièrement avec les pays issus de la sphère francophone, l’Hexagone , dans son rapprochement avec la Chine, est pour le moment très vigilant dans l’équilibre de ses relations. Mais ces deux États pourraient atteindre un point où leur coopération leur apporterait le plus de bénéfices mutuels.


Le capital-investissement a atteint une échelle et une maturité suffisante. Au delà du simple cadre du financement, il crée de nombreuses externalités : l’amélioration de la gouvernance, des capacités managériales, la transparence, l’établissement de comptes solides et des facultés de transformer des entreprises, de gérer leur expansion » .



Les gigantesques capacités financières du géant asiatique offrent à l’Afrique des perspectives d’accéder à des fonds que le seul potentiel français ne permettrait pas. La Chine, de son côté, pourrait trouver dans l’approfondissement de sa collaboration économique avec l’Hexagone nombre de bénéfices majeurs pour le continent africain, au rang desquels figure la mise à niveau des entreprises locales grâce au savoir-faire tricolore.


« [ ... ] La Chine investit beaucoup dans les infrastructures, mais très peu dans le capital productif. L’Europe, pour sa part, investit assez peu dans les infrastructures, mais beaucoup plus dans le capital des entreprises. Mais les uns et les autres vont devoir s’adapter, observe Lionel Zinsou. Je constate que la taille des actifs de gestion est cinq fois plus importante en Chine que celle existant en France [ ... ]. Le capital-investissement y a atteint une échelle et une maturité suffisante. Au delà du simple cadre du financement, il crée de nombreuses externalités : l’amélioration de la gouvernance, des capacités managériales, la transparence, l’établissement de comptes solides et des facultés de transformer des entreprises, de gérer leur expansion » .


Un avis partagé par Etienne Giros qui insiste sur l’expertise pointue qu’offrent les firmes françaises :


« Nous avons des atouts complémentaires : les entreprises européennes et françaises en particulier proposent des produits et services d'une excellente qualité et elles ont aussi acquis une bonne connaissance du terrain. Au CIAN, beaucoup de sociétés détiennent plus de 100 ans de présence en Afrique. Vous ne restez pas plus d’un siècle sur un continent dans une quarantaine ou cinquantaine de pays si vous n’avez pas un " affectio societatis " fort vis-à-vis du continent. De plus, nous avons le savoir-faire et la technologie. Pour leur part, les entreprises chinoises pratiquent des prix de revient qui sont très adaptés aux conditions de marché africain. Par ailleurs, elles ont moins d’appréhensions que leurs homologues françaises et parviennent à mieux surmonter les obstacles auxquels elles pourraient être confrontées en Afrique [ ... ]. Nous pouvons transformer ce point de vue, parfois perçu parfois comme un danger , en opportunité. Un tel partenariat pourrait jouer un rôle d’aiguillon pour les entreprises françaises en Afrique ».


 
 

Il en va donc de l’intérêt des Chinois et de Français de faire évoluer en bonne intelligence leurs initiatives économiques respectives et d’en combiner les avantages.


L’agriculture et le secteur manufacturier mis en avant


Les conférenciers ont mis en exergue le fait d’intensifier cette collaboration tripartite, avec l’idée de créer des projets dans le domaine de l’agriculture. L’industrialisation est aussi marquée par un intérêt commun évident, car l’Afrique pourrait jouer un rôle important en tant que véritable zone de transformation des produits de base agricoles et servir de point de liaison avec d’autres chaînes de valeurs et internationales, notamment en Chine et en France.


« [ ... ] L’industrialisation et la modernisation de l’agriculture sont au cœur des préoccupations de la Chine. L’industrialisation dans les villes peut nous aider à créer des emplois, améliorer les conditions de vie des citadins, préserver la stabilité du pays etc.... La modernisation de l’agriculture est aussi importante parce que nous devons assurer la sécurité alimentaire, une question qui reste à résoudre en Afrique. [ ... ] Les agronomes chinois travaillent depuis un bout de temps dans différents pays africains, particulièrement sur le renforcement les capacités de production céréalières, grâce aux technologies nouvelles ou avancées et aux semences de bonne qualité introduites sur le continent » explique Sun Jiwen.


 
 

Lever les obstacles

La coopération économique entre la Chine et la France, en vue de contribuer de manière substantielle au développement de l’Afrique, n’exploite pas pleinement toutes les potentialités en raison du manque de renseignements sur les intentions réelles de part et d'autre. Selon certains intervenants, la rétention d’information mine cette coopération, empêchant cette dernière d’atteindre un niveau supérieur.


« [ ... ] Nous pouvons créer des groupes de consultation , des think tanks composés d’experts, d’entrepreneurs, de personnalités issues du monde des affaires et d’universitaires français, chinois et africains [ ... ] Peut-être devrions-nous les encourager à se rencontrer régulièrement pour échanger des informations sur le développement local [ ... ] » suggère Sun Jiwen


Étienne Giros abonde dans ce sens, réitérant la nécessité de « changer de paradigme, impliquer le secteur privé dans ce projet de nouveau partenariat, associer à part égal les entreprises productives et le secteur privé, mettre en place une structure très simple où les entreprises chinoises et les entreprises françaises confronteraient leurs projets, et ce dans le cadre des plans de développement des pays africains, sous le parrainage des gouvernements concernés qui insuffleront une stratégie, fourniront une direction et définiront les règles du jeu ».


Sun Jiwen met aussi l’accent sur l’importance des organes de représentation diplomatique qui peuvent faciliter une meilleure compréhension du marché africain :


« [ ... ] Les missions diplomatiques détiennent beaucoup d’informations sur le développement économique d’un pays; elles nouent des contacts avec les fonctionnaires ou des dirigeants de haut niveau. Avec ces informations, elles sont mobilisées pour tisser des liens avec des différentes entreprises — chinoises, françaises et africaines — . Cette piste pourrait donner de très bons résultats ».


 
 

Enfin l’ancien ambassadeur relève que les entreprises ressentent certains facteurs plus lourdement que d’autres, notamment la barrière de la langue, un obstacle important à leur expansion sur le continent :


« L’enseignement du français n’est pas courant chez nous en Chine [ ...]. Cela s’avère difficile pour nos compagnies. Eu égard aux relations très étroites avec les pays francophones africains, du point de vue historique et culturel, la France pourrait très bien nous aider à coordonner tout cela ».


 

Par Harley McKenson-Kenguéléwa


 


 

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