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Franc CFA : Quels scénarios de sortie pour les pays africains de l'UEMOA et la CEMAC ?

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


La sortie du Franc CFA impliquerait pour les entreprises issues des zones monétaires d’Afrique centrale et de l’Ouest une nouvelle donne dans leurs relations commerciales avec le reste du monde. Sous quelle forme ? Les solutions existantes sont-elles optimales ? La journaliste française Fanny Pigeaud et l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, co-auteurs du livre : " L’arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA ", sont intervenus à une conférence qui s’est déroulée le Mardi 20 Novembre 2018 au sein la librairie " Résistances " dans le XVIIème arrondissement de Paris pour apporter leur éclairage sur les mécanismes de cette monnaie, les méfaits de cette devise sur les économies locales et les solutions alternatives visant à remplacer le système actuel.

Franc CFA : Quels scénarios de sortie pour les pays africains de l'UEMOA et la CEMAC ?

Crédits : ©CEO Afrique

Le livre intitulé " L’arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA " est sorti dans un contexte où les peuples d’Afrique issus des pays de la zone franc revendiquent dans leur grande majorité, de façon argumentée ou passionnée, l’instauration d’une nouvelle monnaie au détriment du franc CFA, symbole à leurs yeux de la domination coloniale d’autan, de l’ingérence monétaire et de l'emprise sur les économies africaines.

« Le contexte est en train de changer. On sent bien que la contestation dans un certain nombre de pays est en train de monter. Les mouvements citoyens s’organisent, notamment au Sénégal, voire au Cameroun et dans d'autres pays des sous-régions, ce qui oblige les dirigeants français et africains à s’exprimer sur le sujet », constate Fanny Pigeaud.

Si l'on se projette dans l’avenir, le détachement du franc CFA de l’euro s'apparenterait-il à un saut dans l'inconnu sur le plan économique ? Quels seraient les scénarios de sortie idéaux ?

Le franc CFA est actuellement la devise officielle des huit États membres de l'UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine) — le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo — et celle des six pays de la CEMAC (Communauté Économique

Billets de francs CFA —

Crédits : ©Issouf Sanogo

et Monétaire des États de l'Afrique Centrale) — le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la Centrafrique et le Tchad — . Anciennement arrimé au franc français, il est désormais défini par une parité fixe avec l’Euro ( 1 euro = 655,957 francs CFA) depuis le 1er janvier 1999. Cette parité est conditionnée par une obligation pour l’ensemble de ces pays de déposer 50 % de leurs réserves de change au Trésor français. Cependant, le franc CFA de la zone CEMAC n’est pas interchangeable avec le franc CFA mis en circulation en Afrique de l’Ouest.

« Il est impossible pour un étudiant camerounais installé à Dakar d’utiliser des billets et pièces émis par la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC) » explique Fanny Pigeaud.

Cette monnaie, dont l’acronyme CFA signifiait à l’origine " comptoirs français d'Afrique " et plus tard " franc des colonies françaises d’Afrique " fut créée par la France le 26 décembre 1945 à la suite des accords de Bretton Woods visant à réorganiser les relations monétaires entre les États au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

« L'économie française est sortie très affaiblie de la guerre. Le pays ne détenait pas suffisamment des réserves de change. L’inflation était trop élevée. C’est dans ce contexte qu’est né le franc CFA », nuance Ndongo Samba Sylla. Pour sa part, Fanny Pigeaud ajoute « que le franc CFA a été conçu pendant la période coloniale dans un but bien précis : recréer du lien économique entre la France et ses colonies africaines et permettre à l’hexagone de profiter des matières premières à des prix bon marché [ ... ] ».

Une mainmise sur la politique monétaire dans les pays de la zone franc

La journaliste française dénonce le franc CFA comme un instrument de coercition politique, économique et monétaire utilisé par l’ancienne puissance coloniale, un contrôle qui a débuté bien avant les indépendances en Afrique subsaharienne francophone.

« Lorsque la Guinée avait refusé la proposition du Général de Gaulle de se joindre à la Communauté Française en 1958, les services de renseignement de l’époque [ Le SDECE : Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, NDLR ] avaient déversé sur le marché du pays de faux billets de francs guinéens au lendemain de la proclamation d'indépendance, une opération de déstabilisation qui avait fait chuter le cours de la monnaie et engendrer des problèmes économiques. Cette initiative correspondait à la volonté de la France d’empêcher d’autres pays africains de suivre cette même trajectoire et de préserver son empire colonial ».

Par ailleurs, elle met l’accent sur le fait que l’ingérence française dans les affaires monétaires des États membres de la CEMAC et de l’UEMOA reste d’actualité.

« La France est présente dans les conseils d’administration des trois banques centrales situées dans la zone franc : la BCEAO ( Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest) , la BEAC (Banque des États de l'Afrique Centrale) et la Banque centrale des Comores. C'est à Paris, en accord avec le FMI, que s’est décidée par exemple la dévaluation de 50 % du franc CFA en 1994 . [ ... ] La garantie illimitée qui est censée être apportée par le Trésor français est en fait " illusoire " ». Le co-auteur du livre, Ndongo Samba Sylla, ajoute : « Si la garantie était réelle, il n’y aurait jamais dû avoir la dévaluation du Franc CFA ».

Une contre-argumentation solidement étayée de données macro-économiques

Ndongo Samba Sylla démonte point par point les arguments des fervents défenseurs du franc CFA selon lesquels cette monnaie est de nature à conforter la stabilité monétaire et à constituer un facteur d'attractivité des IDE (Investissements Directs Étrangers). Sa thèse s’appuie sur le constat historique que d’autres pays africains situés hors de la « zone franc » ont vu leur IDE croître fortement sans avoir eu le besoin d’arrimer leur monnaie nationale à celle d’une devise étrangère.

« En 2016, le Ghana a enregistré un stock d’investissements directs étrangers supérieur à celui de tous les pays de l’UEMOA. Au cours de la même année, la République Démocratique du Congo, dont la valeur de la monnaie nationale s’est fortement dépréciée au fil du temps, a eu néanmoins un stock d’IDE supérieur à celui de tous les pays de la zone franc (hors Congo-Brazzaville). Cela montre bien que les comportements en matière d’investissement dépendent de paramètres autres que cette soi-disante stratégie monétaire défendue par les partisans du maintien du franc CFA, argumente l’économiste sénégalais. A noter que la France elle-même n’investit pas prioritairement dans la zone franc où les économies ne sont pas assez développées globalement. Le stock IDE français en Afrique est davantage capté par des pays aux économies relativement plus avancés tels que l’Angola, le Maroc ou le Nigeria », renchérit il.

Des dispositions juridiques immédiatement applicables ....

Parmi les solutions proposées, Ndongo Samba Sylla mentionne la possibilité, pour tout État membre de la CEMAC et l’UEMOA , de sortir à tout moment de la zone franc, une procédure de retrait prévue par les traités des deux unions monétaires avec un préavis de 6 mois, laissant supposer qu'il s'agit simplement d'une question de volonté politique.

L’économiste détaille également le projet de monnaie unique initié par la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) — qui comprend entre autres le Nigeria, Le Ghana et le Cap-Vert — assorti d'une échéance fixée à l’année 2020, date de mise en circulation de cette nouvelle devise. Les pays membres devraient respecter les critères de convergence, calqués sur le modèle européen : maîtrise de l'inflation, du déficit public, de la dette publique etc ...

Autre solution envisagée : chaque pays posséderait sa propre monnaie, sa banque centrale, avec une parité qui serait déterminée en fonction de ses fondamentaux, tout en jouant la carte de la " solidarité monétaire ".

« Les monnaies seraient solidaires à travers une unité de compte commune qui permettrait leur convertibilité directe. A travers un système de compensation, les sénégalais pourraient par exemple se procurer des devises africaines sans passer par l’euro. Les banques centrales afficheraient une solidarité en mettant en commun leurs réserves de changes et, d’une manière générale, leurs forces respectives pour gérer leurs opérations extérieures » explique Ndongo Samba Sylla.

..... contrebalancées par de grandes incertitudes pesant sur les perspectives économiques et monétaires.

D’une manière générale, les spécialistes sont divisés sur la question. L’instauration d’une souveraineté monétaire — et donc d’une monnaie unique supranationale garantie par une banque centrale autonome — se traduirait indéniablement par une dépréciation de cette nouvelle monnaie vis-à-vis de l’euro, le dollar ou le yuan. C’est d’ailleurs l’effet recherché par les économistes partisans de la sortie du franc CFA, dont Ndongo Samba Sylla qui cite un « franc CFA surévalué » . Toutefois, Il est extrêmement difficile de prévoir la valeur exacte de cette monnaie face aux devises étrangères, la perspective d’une sortie brutale du franc CFA pouvant laisser entrevoir pour les plus alarmistes le scénario du pire, d’une ampleur semblable à celle au Zimbabwe, un pays possédant l’une des monnaies les plus faibles au monde, eu égard à l’usage immodéré de la planche à billet dans le passé, et ayant connu l’une des périodes d’hyperinflation les plus démesurées.

« La monnaie [ abandon du franc CFA, NDRL ] ne réglera pas tous les problèmes, concède l’économiste sénégalais. Une dévaluation pourrait donner à court terme une bouffée d’oxygène aux économies ; mais les difficultés seront toujours présentes sur le long terme. A titre d’exemple, la dévaluation de 50 % du franc CFA par rapport au franc français, intervenue en 1994, était supposée donner plus de compétitivité aux économies locales, selon les dires des autorités françaises de l’époque. Une vingtaine d'années plus tard, rien n’a vraiment changé en ce sens. Les économies des pays de la zone franc, notamment celles de l’Afrique centrale ne sont pas suffisamment diversifiées.

A l’heure actuelle, si le Cameroun décidait de sortir du franc CFA sans adopter des politiques d'accompagnement appropriées, c’est toute l’Afrique centrale qui " exploserait ". Si parallèlement, les deux pays phares de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, en faisaient autant, c’est toute l'Afrique de l'Ouest qui s’embraserait également. Les États devraient réformer profondément leur économie et s’engager à mettre en place des politiques complémentaires, simultanément à une sortie du franc CFA, qui entraîneraient des changements les plus significatifs, par exemple dans le domaine de l’agriculture » .

Il y a ensuite le projet de création d’une monnaie unique en 2020 qui devrait circuler dans l’espace de la CEDEAO, susceptible d'être mis à mal par les disparités économiques observées entre les pays membres.

« Le Nigeria, première puissance économique d'Afrique, est un pays exportateur de pétrole, alors que neuf autres États membres de la CEDEAO en sont importateurs. L’ensemble de ces pays ne pourront pas émerger comme un bloc homogène car leurs cycles économiques ne sont pas synchrones. Il faudrait au préalable un fédéralisme budgétaire dans cette entité », poursuit Ndongo Samba Sylla.

Ajouté à cela, " le plan de divorce avec le Trésor français " exigé par le président Muhammadu Buhari aux pays membres de l’UEMOA qui utilisent actuellement le franc CFA, une condition sine qua non pour aller beaucoup plus loin dans le renforcement de l'intégration régionale sur le plan monétaire dans toute l' Afrique de l’Ouest.

« Jusqu'à ce jour, les autorités du Sénégal et de la Côte d’Ivoire n’ont pas encore réagi à l’appel émanant du chef de l’État nigérian » déplore le spécialiste des questions monétaires autour du franc CFA.

 

INFOS PRATIQUES

Fanny Pigeaud, journaliste indépendante, collabore avec le site d'information Mediapart. Elle est co-auteur de " L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA ", aux éditions " la Découverte ", avec Ndongo Samba Sylla, économiste, chargé de programmes et de recherche au bureau Afrique de l’Ouest de la fondation Rosa-Luxemburg.

 

par Harley McKenson-Kenguéléwa

 


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